Le projet de taxe sur les transactions financières (TTF en français, FTT en anglais) a été approuvé le mardi 22 janvier 2013 par la Commission Européenne. Ce projet était porté par 11 États-membres, représentant les 2/3 du PIB de la zone Euro : France, Allemagne, Belgique, Portugal, Slovénie, Autriche, Grèce, Italie, Espagne, Slovaquie et Estonie. La Grande-Bretagne et le Luxembourg, opposés au projet, se sont abstenus lors du vote.

Un projet ambitieux

Cette taxe consistait à prélever 0.10% du montant des transactions fermes sur actions et obligations et 0.01% du montant des transactions sur produits dérivés. Elle ne concerne que les transactions entre institutions financières (les particuliers et les entreprises non financières ne sont pas concernés), dès lors qu’une au moins des parties est installée dans un des pays participant à l’accord, quel que soit le lieu effectif de la transaction et quel que soit le lieu de résidence de la contrepartie.

Les taux indiqués sont des taux minimums. Chaque État membre est libre de définir un taux plus élevé. La taxe est due par les deux parties (l’acheteur et le vendeur).

Exemples d’application de la taxe

💡 Quelques exemples permettent de mieux comprendre le mode d’application de la taxe :

  1. Sur un achat-vente d’actions d’un montant de 600 000€ entre une banque établie en Allemagne et une compagnie d’assurance établie en Espagne, chacune des parties s’acquitterait d’une taxe de € 600 à l’administration fiscale de l’État où elle réside, sachant que l’Allemagne et l’Espagne participent à l’accord.
  2. Sur un swap de taux d’un montant nominal de 600 000€, conclu entre un hedge fund résidant en France et une banque Suisse (État hors UE), la taxe de 60€ est due également par les deux parties, qui s’en acquittent à l’administration fiscale de la France.

La mise en œuvre de cette taxe suppose une « coopération renforcée » entre les États ayant décidé de participer à l’accord. L’unanimité des 27 États-membres apparaissant impossible à obtenir, c’est ce biais juridique qui a été adopté afin d’éviter l’abandon du projet.

Qui doit percevoir cette taxe ?

En ce qui concerne la perception de la taxe, la Commission préconise d’une part de s’appuyer sur les infrastructures de marché : en effet, une grande part des négociations ont lieu sur des places de marché électroniques. D’autre part, en ce qui concerne les transactions de gré à gré, les directives MIFID et EMIR prévoient l’obligation pour toutes les institutions financières de conserver la trace de toutes leurs transactions voire de les faire enregistrer dans des « trade repositories ». Comme le souligne ironiquement la documentation produite par la commission européenne, la TTF devrait être une des taxes les plus faciles à collecter, à un coût minime par rapport aux gains escomptés.

Quels vont être les effets du dispositif ? La Commission Européenne escomptait des rentrées fiscales de 37 milliards d’Euros par an… À condition de ne pas tuer la poule aux œufs d’or.

En effet, comme l’avait fait remarquer l’Agefi, la mini-taxe mise en place par la France (qui décidément aime bien faire cavalier seul) à l’été 2012 sur certaines valeurs avait eu pour effet de réduire de 15% le volume des échanges sur les valeurs en question. Les opérateurs se sont reportés sur d’autres titres. Évidemment, ce type d’arbitrage deviendra plus difficile dès lors que le filet s’étend sur une plus large zone. Les acteurs ne peuvent pas délaisser totalement des marchés tels que la France ou l’Allemagne.

Taxe sur les transactions financières : la botte secrète de la Commission Européenne ?

Robin Hood tax
La taxe sur les transactions financière est aussi appelée « Taxe Robin des Bois ».

La Commission Européenne ainsi que le Parlement européen ont autorisé en 2013 la mise en œuvre d’une procédure de coopération renforcée entre 11 Etats-membres afin de mettre en place la taxe sur les transactions financières. Les contours du projet sont résumés dans le tableau ci-dessous :

Projet de la Taxe sur les transactions financières présenté en 2013.

1. MESF : Mécanisme Européen de Stabilité Financière
2. FESF : Fonds Européen de Stabilité Financière
3. Institutions financières : Etablissements de crédit, entreprises d’investissement, marchés organisés, compagnies d’assurances, sociétés de gestion, fonds de pension, holdings, sociétés de crédit-bail, véhicules de titrisation

🎯 Le taux prévu était de 0.1% pour les instruments au comptant, et 0.01% pour les produits dérivés.

Le champ d’application vise la « finance de marché » au sens large, évitant soigneusement le financement de l’économie réelle, via l’exclusion du marché primaire et des produits financiers distribués par la banque de détail et l’assurance.

🚨 Toutefois, l’achat-vente de titres par un investisseur particulier sera taxé via la taxation de l’intermédiaire financier par lequel cette négociation transitera.

Un projet contesté

Le projet suscite à l’époque des réactions véhémentes de la part du monde de la Finance. Des banques françaises ont fait connaître leurs estimations, dont il ressort que la TTF signera leur arrêt de mort. Le courrier que les associations de place françaises ont adressé au ministre de l’économie est plus mesuré quant au destin individuel des établissements financiers, mais très alarmiste quant aux impacts de la taxe sur le financement de l’économie.

Il est difficile de faire un tri dans le flot d’objections que l’on peut lire à ce moment. J’ai choisi d’en retenir deux.

Un achat-vente de titres passant par l’intermédiaire de courtiers et de la chambre de compensation sera taxé 6 fois :

❌ Faux. La taxation s’applique sur la négociation et non sur le transfert de propriété. Il est vrai que la présence des intermédiaires et de la chambre de compensation induit une succession de transferts de propriété dans le cycle post-marché. Mais ces transferts résultent de deux ordres (un achat et une vente) ayant donné lieu à une exécution. L’achat-vente devra donc être taxé… 2 fois comme prévu.

Cependant, il n’en sera pas de même si la négociation passe par le marché de gré à gré, mettant en jeu des brokers-dealers qui achètent les titres pour leur propre compte avant de les céder à leurs clients. Ce qui amène à la deuxième remarque.

La Commission Européenne fait l’hypothèse que la TTF aura pour effet d’éradiquer purement et simplement certaines activités de marché :

Vrai. C’est bien ce qui ressort de l’étude d’impact publiée le 14/02/2013[1]. Voici quelques exemples des considérations extraites de ce document :

  • Effet sur le marché de la dette publique : comme le marché primaire n’est pas taxé, les investissements de type « buy and hold » de long terme seront favorisés. Sous-entendu: la spéculation sur la dette des pays de la zone Euro, c’est terminé.
  • Effet sur le marché du repo : le repo overnight sera remplacé par des prêts sécurisés (non taxables). Exit donc également le repo, considéré comme un élément particulièrement opaque du « shadow banking » et porteur de risque systémique par les transferts successifs de collatéral.
  • Effet sur le marché des dérivés OTC : là aussi, la Commission s’attend à une baisse significative des volumes, sans s’en émouvoir plus que cela.
  • Effet sur les market makers, internalisateurs systématiques et autres proprietary traders : la taxation des transactions de tous ces intermédiaires va induire des effets en cascade. Ceux-ci sont parfaitement assumés, ainsi que leur conséquence : la captation des spreads, devenue non rentable, cessera purement et simplement.

Au final, on peut se demander s’il n’y avait pas dans ce projet un agenda public et un agenda, sinon caché, du moins « discret ». 

L’agenda public a un volet politique : satisfaire l’opinion publique largement hostile au monde de la finance. Et un volet fiscal : générer des revenus supplémentaires qui contribueraient à diminuer significativement la contribution des Etats participants au budget de l’UE.

L’agenda caché vise sinon à l’éradication, du moins à la limitation drastique de certaines activités jugées inutiles voire prédatrices pour l’économie réelle. Il est bien évident que la réalisation de cet agenda caché aura aussi pour effet de diminuer les rentrées fiscales, mais cet effet là semble, lui aussi, parfaitement assumé. En effet les estimations de l’époque (€ 30-35 milliards à 11, € 57 milliards si les 27 pays de l’UE participaient) tiennent compte de la réduction des volumes que provoquera la taxe.

Un premier bilan en 2024

La taxe sur les transactions financières (TTF) est pensée comme un outil politique consensuel ayant pour but d’atténuer les inégalités Mondiales, en faisant participer de manière modeste le secteur financier.

En France, la TTF contribue à l’Aide Publique au Développement (ADP) depuis sa création (1969), et depuis 2019, ses prévisions de recettes ont doublé, atteignant plus de 2,2 milliards d’euros.

Source : OCDE

Cependant, certaines ONG souhaitent renforcer cette taxe tant au niveau national qu’européen pour lutter plus efficacement contre les inégalités d’accès aux services sociaux, les pandémies et les impacts du changement climatique.

Bien que représentant une contribution modeste pour le secteur financier, la TTF est aujourd’hui la taxe la plus significative pour les ONG et pourrait encore générer des sommes considérables pour la lutte mondiale contre les inégalités.

D’ailleurs, un rapport de l’économiste Gunther Capelle-Blancard publié en mai 2023 (Cf. Sources et références) estime que la TTF pourrait rapporter entre 156 et 260 milliards d’euros par an si elle était appliquée aux pays du G20, selon le taux appliqué : 0,3 % comment en France depuis le 1er janvier 2017 ou les 0,5 % de stamp duty au Royaume-Uni.

En 2024, avec la hausse continue du volume des transactions boursières, les enjeux écologiques et sociaux, la TTF est donc plus que jamais d’actualité. Néanmoins, plus de 10 ans après son approbation par la Commission Européenne, les désaccords sur le champ d’application de la taxe sont toujours présents. Et la TTF n’est toujours pas appliquée au niveau global.


Sources et références

[1] Tous les documents de la Commission à ce sujet peuvent être lus ici : http://ec.europa.eu/