Définition

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Le shadow banking désigne l’intermédiation financière  exercée en dehors du cadre des activités bancaires régulées.

Le terme shadow banking a émergé lors de la crise financière de 2007-2009. La spirale baissière dans laquelle les marchés et les banques étaient entraînés trouvait son origine dans les activités de titrisation, et était alimentée entre autres par les fonds monétaires, deux activités rattachées au shadow banking.

Remarque importante: le shadow banking ne désigne pas a priori des activités illégales. « Shadow » en anglais n’a pas la connotation inquiétante que pourrait avoir « ombre » en français. Que l’on se rappelle par exemple le « shadow cabinet » (http://en.wikipedia.org/wiki/Shadow_Cabinet). « Banque parallèle » serait  une traduction plus appropriée que la traduction littérale « banque de l’ombre ».

L’intermédiation bancaire

Pour mieux comprendre le shadow banking il faut déjà comprendre en quoi consiste l’activité bancaire. La banque fait de l’intermédiation financière : elle transforme ses sources de financement (son passif) en actifs, essentiellement des prêts, présentant des caractéristiques différentes. Cette transformation peut porter sur plusieurs critères :

  • La maturité : structurellement, la banque finance ses actifs par des passifs de maturité moins longue.
  • Cela signifie aussi qu’elle utilise d’une manière importante l‘effet de levier, qui permet d’augmenter la rentabilité de ses capitaux propres en ayant recours à l’endettement.
  • La liquidité : la banque finance des actifs illiquides, par exemple des créances à l’économie, par des passifs liquides comme des certificats de dépôt ou des comptes à vue.
  • Le risque : à travers ses actifs, la banque assume des risques à la place de ses déposants et créanciers, en particulier le risque de crédit

Ces caractéristiques très spécifiques au métier de la banque font que celle-ci est exposée au risque de panique bancaire. Si tous les déposants viennent en masse exiger le remboursement des avoirs qu’ils ont en compte, une banque de dépôt peut se retrouver du jour au lendemain en cessation de paiement. Une banque d’affaires peut également se retrouver en grande difficulté si elle ne trouve plus à se refinancer sur le marché interbancaire. C’est ce qui est arrivé à Lehman Brothers.

De par son rôle essentiel dans le financement de l’économie, et du fait qu’elle draine de l’épargne publique pour se financer, l’activité bancaire est très régulée et bénéficie en contrepartie de certaines garanties.

  • La régulation définie par le Comité de Bâle impose aux banques des contraintes précises quant à la structure de leur bilan: ratio de solvabilité, ratios de liquidité et ratio de levier. Le ratio de solvabilité dépend directement du niveau de risque pris par la banque.
  • Les banques de dépôt cotisent à un fonds de garantie des dépôts qui permet, en cas de défaillance de l’une d’entre elles, d’indemniser ses déposants à hauteur d’un plafond défini par la loi.
  • Enfin les banques ont la possibilité de se financer auprès de la banque centrale, qui joue le rôle de « prêteur en dernier ressort » en cas de crise de confiance sur le marché interbancaire.

Ces éléments vont nous permettre de préciser un peu notre définition du « shadow banking ».

Le shadow banking recouvre les activités d’intermédiation financière (transfert de risque, transformation de maturité et / ou de liquidité, recours à l’effet de levier) qui, ayant lieu en dehors du cadre réglementaire de l’activité bancaire, ne sont pas soumises aux contraintes, ni ne bénéficient des garanties liées au statut de banque, tout en étant exposées à un risque de liquidité important.

Activités

Un certain nombre d’activités sont clairement visées par la désignation « shadow banking ».

La titrisation

Le véhicule de titrisation (SPV, Special Purpose Vehicle) finance des actifs illiquides, des créances, par du passif liquide, des titres (CDO, MBS, RMBS) vendus à des investisseurs institutionnels. Si le taux de défaillance sur les créances titrisées dépasse le seuil prévu dans le montage, le SPV ne sera pas en mesure d’honorer tous les paiements prévus sur les titres émis, pénalisant ainsi la rentabilité des investisseurs.

Les hedge funds

Les hedge funds mettent en œuvre des stratégies complexes, difficiles à déboucler rapidement. Leur succès repose sur la stabilité de leur financement mais aussi sur une certaine opacité. En cas de perte de confiance, ils doivent rapidement faire face à des demandes de remboursement massives de leurs investisseurs. En outre les hedge funds utilisent massivement l’effet de levier, qui leur permet d’augmenter la rentabilité des capitaux investis quand le marché est porteur mais les expose aussi à de gros risques en cas de baisse des cours.

Le marché du repo et du prêt-emprunt de titres

Le cas du repo et du prêt-emprunt de titres (securities finance) est un peu particulier puisqu’il vise une activité non régulée, pratiquée par des entités régulées ou non, et non une entité en particulier. Ce marché, uniquement de gré à gré, repose sur la valeur des actifs apportés en collatéral des opérations. Si plus personne n’a confiance dans ces actifs, réputés « pourris » comme lors de la crise des subprimes, le marché du repo se bloque instantanément. Or c’est principalement via le repo que les banques se refinancent sur le marché interbancaire.

Le marché des dérivés OTC

Ici aussi il s’agit d’une activité non régulée pratiquée par des entités régulées. Le marché des CDS en particulier a été au cœur de la crise financière. Sur ce marché se créent des chaînes de transfert de risques qui peuvent potentiellement devenir explosives en cas de défaillance d’un maillon. La valeur des dérivés, listés ou OTC, dépend de la valeur des actifs sous-jacents, mais le marché est d’une taille sans commune mesure avec celle des actifs réels. C’est un marché où l’effet de levier joue à plein et ce comme toujours dans les deux sens. Ce marché est toutefois en train d’être poussé hors du shadow banking et en pleine lumière par les régulations Dodd-Franck et EMIR (cf. ci-dessous).

Les fonds monétaires

Les fonds monétaires, ou « money market funds » en anglais, investissent dans des titres réputés sûrs comme des titres d’Etat en garantissant à leurs porteurs un remboursement « au par », c’est-à-dire à 100% du montant investi. Ils permettent à des investisseurs de « parquer » du cash en attendant une meilleure opportunité, avec une très faible rentabilité mais sans risque de perte de valeur. Toutefois cet engagement ne tient encore une fois que tant que les investisseurs ont confiance dans les actifs détenus par le fonds. Si le fonds doit faire face à des demandes de remboursement massives sur son passif, avec dans le même temps une chute de la valeur de marché de ses actifs, il se retrouve rapidement en difficulté.

La liste des types d’activités faisant partie du shadow banking ne doit surtout pas être considérée comme limitative. Au contraire c’est la volonté du FSB (Financial Stability Board) d’exercer une veille permanente en vue de détecter tout type d’activité similaire aux activités bancaires, mais exercée par des entités non ou faiblement régulées ou dans un cadre non régulé. Ainsi les courtiers en matières premières sont apparus sur l’écran radar du FSB il y a quelque temps.

Les entités et activités qui ne sont pas exposées à un risque de retrait massif sur leurs passifs ne sont pas rattachées au shadow banking. Ce sont les fonds de pension, les compagnies d’assurance et la plupart des fonds d’investissement.

Les risques

La littérature reconnait quelques avantages théoriques à l’existence du shadow banking. Il offre des modes d’intermédiation inaccessibles aux banques ou à des contreparties qui n’accèdent pas au financement bancaire. Il permet de disséminer les risques au lieu de les concentrer sur les banques uniquement.

Les risques sont également réels et mieux décrits.

Si ces activités se déroulaient réellement en parallèle de la finance « classique », c’est-à-dire sans lien avec elle, il n’y aurait pas vraiment de problème. Ce n’est évidemment pas le cas et on ne voit d’ailleurs pas bien comment cela serait possible ni même souhaitable. Les banques, les investisseurs institutionnels et le « shadow banking » constituent un réseau de relations et de dépendances parfois difficiles à évaluer. Les activités de shadow banking sont soit pratiquées directement par les banques (repo, dérivés OTC), soit indirectement via des filiales (fonds monétaires), soit financées par les banques (hedge funds) soit au contraire financent celles-ci (titrisation). Quant aux investisseurs institutionnels ils contribuent au financement du shadow banking en achetant les actifs qu’il émet (titrisation) ou en lui en prêtant (repo, prêt-emprunt de titres), quand ils n’en font pas eux-mêmes partie (hedge funds).

Ensuite, le shadow banking utilisant massivement l’effet de levier, a un rôle procyclique: son action tend à accélérer l’octroi de crédit et la hausse des prix en phase d’expansion, et à alimenter les spirales baissières en phase de contraction.

Enfin le shadow banking concernant des entités ou des activités peu régulées, il est très difficile pour le régulateur d’appréhender son volume, les stratégies qu’il utilise et les dépendances qu’il crée. C’est un marché peu transparent, quoique, encore une fois, tout à fait légal.

L’interdépendance, l’opacité, les effets procycliques, joints aux risques de panique qui peuvent très rapidement contaminer l’ensemble d’une activité (titrisation, CDS, fonds monétaires, marché interbancaire, …) font que le shadow banking constitue le lieu privilégié d’où pourra partir la prochaine étincelle qui mettra le feu aux poudres. Bref le shadow banking est une source importante de risque systémique.

La taille du shadow banking

Le FSB estime la taille du shadow banking (hors dérivés OTC) à $67 trillions (millions de millions) fin 2011, soit à peu près la valeur du  PIB mondial. La part du shadow banking dans l’intermédiation financière à décru à environ 25% après un pic à 27% juste avant la crise. Les actifs détenus par le shadow banking représentent à peu près la moitié des actifs détenus par le système bancaire. Les Etats-Unis ont le shadow banking le plus significatif ($23 trillion), suivis par la zone Euro ($22 trillion) et le Royaume Uni ($9 trillion).

La régulation

Mais que fait le régulateur? En fait il ne reste pas inactif. Même si les évolutions réglementaires prennent du temps à être définies puis appliquées, le temps du « benign neglect » est révolu. Un des objectifs fixés par le G20, dont la mise en œuvre a été confiée au FSB et au Comité de Bâle, est de mettre davantage de transparence et de régulation dans le shadow banking. On trouvera plus de détail sur les réformes proposées dans les documents du FSB en lien en fin d’article.

Les dérivés OTC vont devoir progressivement s’orienter vers davantage de transparence et de sécurisation, via les réformes Dodd-Franck aux Etats-Unis et EMIR en Europe.

Les hedge funds sont davantage régulés en Europe depuis la mise en application de la directive AIFM.

Le comité de Bâle a défini une exigence en capital supplémentaire pour les expositions des banques aux « entités non régulées » (i.e., le shadow banking), visant à prévenir le risque systémique. A ce sujet, on notera que si la crise est bel et bien venue du shadow banking, les premières réformes et les plus contraignantes ont visé… les banques!

Le FSB propose un certain nombre de mesures visant à sécuriser les actvités de shadow banking:

  • La probabilité des liquidations massives sur les fonds monétaires sera limitée par de nouvelles règles prudentielles. La valeur liquidative de ces fonds doit désormais être flottante, comme pour tous les autres fonds et des seuils de remboursement doivent être mis en place en cas de crise.
  • L’activité de titrisation devient également plus encadrée, avec en particulier l’obligation pour les banques de garder dans leur bilan une partie des titres émis.
  • Des règles de définition des haircuts sur le collatéral visent à réduire la procyclicité des activités de repo et de prêt-emprunt de titres.

Evidemment, toutes ces règles prudentielles sont des recommandations définies au niveau international, qui doivent être transposées dans le droit de chaque pays ou zone économique avant d’être effectivement appliquées. Cette mise en œuvre passe par le Comité de Bâle et les autorités de régulation bancaire (EBA, banques centrales en Europe) pour ce qui concerne la régulation bancaire (exigences en capital notamment) et par le IOSCO puis les autorités de marché (ESMA en Europe) pour ce qui concerne les activités de marché: régulation de la titrisation, du repo et des fonds monétaires.

A contrario, certaines interventions du régulateur, comme la séparation des activités bancaires entre banque de dépôt classique et activités de trading pour compte propre pourraient avoir l’effet pervers de déplacer vers le secteur non régulé des activités qui étaient précédemment de facto sous l’œil du régulateur puisque logées dans le bilan des banques.

Plus généralement, le FSB entend ne pas se laisser dépasser par les événements en exerçant une surveillance permanente via les autorités de régulation nationales et transnationales afin non seulement d’évaluer les activités connues du shadow banking mais aussi de détecter de nouvelles sources potentielles de risque systémique.

On peut bien sûr douter de l’efficacité de ces mesures, proposées par des autorités qui ont par définition toujours un temps de retard sur les marchés, et dont la mise en œuvre se heurte souvent à des lobbies puissants qui s’efforcent de les vider leur substance. Cependant, soutenir comme on  le lit et on l’entend souvent que « les gouvernements ne font rien » est une vision un peu réductrice. Le manque de lisibilité de l’action pour le public tient sans doute en partie au fait que justement ce ne sont pas les gouvernements qui sont en première ligne dans ce domaine mais des instances supranationales (Comité de Bâle, ESMA, …) ou nationales (AMF, ACP) non élues et au rôle méconnu.