
Un documentaire diffusé récemment sur Arte retraçait l’histoire de la finance mondiale depuis la crise de 29 jusqu’à nos jours. J’ai trouvé ce documentaire très instructif, dans la mesure où il fait la part belle aux interviews de professionnels, capables de s’exprimer sur le sujet sans dire trop de bêtises. Par contre, dès que les journalistes se fendent d’un commentaire, on demeure confondu par la profondeur de leur ignorance. Une des plus belles bourdes concerne la finance parallèle ou « shadow banking », expression traduite évidemment par « finance de l’ombre », et, susurre le commentaire, « on dit aussi dark pools » (ajouter des têtes de mort et des hurlements glaçants). Ben, en fait non, on ne dit pas « aussi » « dark pools », parce que « shadow banking » et « dark pools » désignent deux concepts totalement distincts.
Avant de revenir sur les dark pools, concernant les perles journalistiques, je ne résiste pas à la tentation d’en relater une belle, entendue dans le doc sur Goldman Sachs diffusé quelque temps auparavant, dans lequel on entendait: « Les marchés OTC, « Over The Counter », « Sous le comptoir » »… Oui vous avez lu « sous » le comptoir. Ahaha, les affreux traders pris à traficoter dans l’ombre! Sauf que « Over » signifie « par dessus », pas « par dessous ». Quand vous achetez le pain chez le boulanger, la transaction est « Over the counter » également. Bref. C’est dommage parce que dans le fond il y a plein de choses intéressantes – et intelligentes – à dire sur Goldman Sachs. Par exemple lisez ça (en plus c’est gratuit) , vous en sortirez vraiment plus intelligent-e.
Il y a peu Fimarkets a démystifié pour vous le shadow banking. Revenons donc aux dark pools. Désolée de vous décevoir, mais comme le shadow banking, les dark pools ne sont pas illégaux.
Ce sont des places de négociation privées, où il n’y a pas de transparence pré-négociation. Sur un marché réglementé type Euronext, vous pouvez à tout moment consulter le carnet d’ordres, qui vous indique les ordres acheteurs et vendeurs en attente d’exécution. C’est une information précieuse pour savoir dans quelle direction va aller le marché. L’inconvénient est qu’il devient difficile de placer un gros ordre sans impact majeur sur le prix.
Les dark pools ont été créés pour ça: permettre à des acteurs, par exemple des investisseurs institutionnels, d’exécuter des transactions de taille importante sans faire décaler le marché. La plateforme matche les ordres acheteurs et vendeurs qui lui sont transmis, mais ceux-ci ne sont pas visibles des autres participants.
Mais au fil du temps les dark pools ont été dévoyés de leur finalité première. Ainsi cet article publié en avril sur Bloomberg, mentionnait que la taille moyenne des ordres sur les dark pools était de 200 titres. On est loin des ordres de taille importante pour lesquels étaient initialement conçus les dark pools.
Par ailleurs, on estime qu’aux Etats-Unis un tiers environ des transactions sur actions ont lieu en dehors des marchés organisés, donc sans transparence pré négociation. Sur ce total, environ 8 à 13% ont eu lieu sur des dark pools. Les autres transactions hors marché sont le fait d’internalisateurs systématiques, c’est-à-dire de brokers qui matchent les ordres de leur client face à leur propre inventaire sans passer par le marché, et de transactions de gré à gré (les fameuses transactions « sous le comptoir »). Voir ce dossier du CFA institute pour en savoir plus.
La fragmentation des marchés, jointe au fait qu’une part importante des transactions ont lieu sans visibilité, nuisent à la transparence et à l’efficience du processus de formation des prix. Sans compter que les marchés réglementés ne sont pas contents de la concurrence que leurs font les dark pools…
C’est pourquoi le bruit court ces jours-ci que la Commission Europénne réfléchit très sérieusement à une modification la MiFID (Markets in Financial Instruments Directive) pour ajouter pour chaque action une limite supérieure au montant traité sur les plateformes anonymes. Voir par exemple cet article de l’Agefi.
Outre Atlantique, la SEC réfléchit aussi à des moyens d’encadrer les dark pools, sous la pression des marchés réglementés.
Et pourquoi, me direz-vous, n’interdit-on pas purement et simplement les dark pools? Parce que, acheter discrètement, cela nuit certes à la transparence du marché et introduit une asymétrie d’informations (un joli terme pour dire qu’il y en a qui se font gruger), mais ce n’est pas illégal… Après tout quand vous avez trouvé une bonne affaire pendant les soldes, vous ne tenez pas à ce que toutes les copines débarquent sur le coup avant d’avoir conclu votre achat, n’est-ce pas? CQFD.