
« Shadow banking », de Corbeyran, Bagarry et Chabbert, publié en septembre 2014 chez Glénat, nous donne à voir de l’intérieur le monde fascinant de la banque et de la finance internationale.
Sur la forme, le dessin est de facture classique, très léché, avec une mise en couleurs sobre. Sur le fond, un scénario d’espionnage avec sniper, assassinat déguisé en suicide et manipulations, situé dans le monde feutré de la BCE (oui oui la Banque Centrale Européenne!) peut faire sourire. Ceci dit, pour avoir beaucoup grenouillé dans ce contexte somme toute assez gris, je peux comprendre que l’auteur du scénario ait eu envie de se faire plaisir!
Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est bien sûr ce que cette BD nous donne à voir et à comprendre du monde de la banque et de la finance. J’ai déjà eu l’occasion de pester contre les inepties véhiculées par les journalistes sur ce sujet. Peut-on faire mieux en BD?
On trouve un glossaire plutôt bien fait à la fin du livre. D’autres mots, tels que la titrisation, auraient pu y figurer. En même temps ok c’est une BD, on est quand même là pour s’amuser. La définition du shadow banking est assez claire quoique connotée négativement. Elle permet de réaliser, après la lecture de l’ouvrage, que le titre n’a rien à voir avec le sujet réel, mais bon il faut vendre.
Approchons l’objet sous trois angles: l’aspect économique, les instruments financiers et pour finir la peinture du monde de la banque ou plutôt des banques centrales.
Sur les aspects économiques, la BD commence par un résumé de la crise des subprimes en 2 pages. Comme dans un sujet du journal de 20h, les images collent plus ou moins au texte, il faut admettre que le sujet n’est pas simple à mettre en images. On y lit que « malgré les injections de liquidité de la FED et des autres banques centrales les banques ne se font plus confiance entre elles ». Je n’aurais pas écrit « malgré ». Les banques centrales injectent des liquidités parce que les banques commerciales ne se font plus confiance entre elles et pour leur permettre de continuer de se refinancer et de financer l’économie. Aucun banquier central, je crois, n’a la prétention de rétablir la confiance par les injections de liquidité. Au contraire c’est un très mauvais signal!
Page 10, le héros, Mathieu Dorval, est présenté à ses nouveaux collègues de la BCE comme l’auteur d’une thèse portant sur le risque systémique. Le patron blague sur le thème « espérons que nous n’aurons jamais à utiliser ses compétences sur le sujet » ce qui fait bien rire tout le monde. Ça c’est très bien vu. Cela me rappelle l’histoire d’un économiste américain, Nouriel Roubini, qui avait lui aussi suscité l’hilarité générale en prédisant la crise des subprimes et en disant qu’elle allait arriver à cause de l’hypertrophie du shadow banking. On l’avait même surnommé « Doctor Doom »!
Sur l’entrée de la Grèce dans l’euro, M. de la Salle, le tuteur et mentor du héros, directeur adjoint à la BCE, est présenté comme ayant toujours eu de sérieux doutes sur la pertinence de ce choix. Je me rappelle très bien qu’à l’époque absolument tout le monde dans les bureaux des banques disait « la Grèce ? Ah bon? ». Pas besoin d’être directeur à la BCE pour se douter que le choix était politique et non économique.
Ensuite sur les instruments financiers. Dans la présentation des subprimes on lit que les crédits de mauvaise qualité ont été « regroupés avec d’autres instruments financiers tels les CDO ». Moui, ce n’est pas comme ça que j’aurais expliqué la titrisation. J’ai bien aimé aussi la définition des trackers ou ETF en bas de page 35. « Instrument financier pour parier sur la hausse ou la baisse d’un indice, d’une matière première ou autre sous-jacent ». Citez moi un instrument financier qui ne permette pas de parier à la hausse ou à la baisse de quelque chose, pour voir. Bon je suis injuste, la définition dans le glossaire en fin du bouquin est beaucoup plus claire.
C’est sans doute sur la peinture du monde de la banque centrale que la BD se montre le plus crédible. Les images d’open space, de vue sur la ville depuis les tours, les lobbies immenses, les salles de réunion… tout y est. La présence féminine inversement proportionnelle au degré où l’on est dans la hiérarchie est réaliste. Par contre je note que la réunion de chefs de département au restaurant ne semble comporter que des français autour de la table. A ce niveau c’est très surprenant! La BCE est une institution internationale, les employés viennent de l’Europe entière, et les postes hiérarchiques sont répartis en respectant un équilibre entre les nationalités. Et alors, la présentation… « Mathieu, je te présente Léonard Monclar, directeur adjoint du service économique… » Mais non! Quand on est bien élevé on présente toujours le plus jeune au plus vieux, enfin!Les usages se perdent…
Sur la psychologie des personnages, Mathieu mentionne au début qu’il n’est pas motivé que par l’argent et conserve un certain idéalisme. Le lecteur sera peut-être surpris de l’apprendre mais il y a effectivement un esprit « service public » dans les banques centrales. Par contre la sombre histoire de rivalité entre Mathieu et le dénommé Julien qui se termine par une bagarre aux poings, alors là: crédibilité zéro. Normalement dans ces milieux-là, on poignarde, au sens figuré certes, mais c’est beaucoup plus efficace.
Je pourrais relever d’autres éléments, positifs ou négatifs, mais je ne voudrais pas non plus tout « spoiler » pour le lecteur potentiel! Au final, c’est une BD qui se lit bien, et qui peut même donner envie d’en savoir un peu plus sur le monde de la finance, (par exemple en lisant fimarkets!) et c’est déjà bien!