Lettre ouverte au « Shift Project » à propos du « plan pour la transformation de l’économie française »

Hier le think tank pour la transition carbone « The Shift Project », fondé par Jean-Marc Jancovici, a commencé à divulguer son « plan de transformation de l’économie française » pour construire une économie résiliente et décarbonée. Un exercice passionnant, qui m’a toutefois donné à réfléchir et m’a donné envie de leur écrire cette « lettre ouverte » :

Cher M. Jancovici, chers membres du Shift Project,

J’ai assisté hier soir avec beaucoup d’intérêt à la présentation du plan de transformation de l’économie française pour construire une économie résiliente et décarbonée. Je suivrai avec beaucoup d’attention l’évolution de ce plan et ne manquerai pas d’y apporter ma modeste contribution, si toutefois il me vient des idées.

L’exercice qui consiste à revenir à la base de l’économie (l’art de gérer sa maison au sens étymologique), donc en fait comment nous produisons et allouons les biens et les services nécessaires à la vie de chacun, et à analyser celle-ci en termes de flux physiques à l’échelle d’un pays constitue une démarche complètement novatrice. J’ai hâte de voir ce que ça va donner.

A ce stade j’aimerais simplement apporter une réflexion qui naît de quelques mots entendus hier, comme (je cite approximativement) : « l’argent ce n’est pas le problème », ou « s’il suffisait de mettre de l’argent dans les énergies renouvelables pour résoudre la crise on le saurait depuis longtemps ».

Ces quelques réflexions me paraissent traduire un niveau de compréhension du rôle de la finance dans une économie telle que la nôtre similaire à celui de la moyenne des français, c’est-à-dire nul. Me permettez-vous d’expliquer ?

Supposons que notre champ d’action soit celui d’une économie reposant sur la propriété privée et le libre échange des biens, des services et du capital, bref ce que les économistes appellent une « économie de marché ». Dans un tel type d’économie, il existe deux catégories d’acteurs :

  • Des acteurs qui doivent généralement gagner de l’argent avant de pouvoir en dépenser : les économistes les appellent « les ménages », terme assez désuet mais toujours en usage. C’est vous, moi, tout le monde en fait.
  • Des acteurs qui doivent impérativement dépenser de l’argent avant de pouvoir en gagner. Il y en a deux grandes catégories :
    • les entreprises, qui doivent investir dans des locaux, du matériel, des matières premières et de la force de travail afin de pouvoir produire avant de vendre ;
    • l’État, si l’on veut bien considérer que celui-ci investit dans l’éducation, la santé et la sécurité des citoyens, afin d’avoir une population active et productive, donc apte à payer un maximum d’impôts.

Du fait du décalage temporel dans les flux monétaires entrants et sortants pour chaque catégorie d’acteurs, toute la problématiques des seconds (entreprises et État) va être de trouver le moyen de capter et canaliser l’épargne disponible des premiers (les ménages) vers leurs colossaux besoins de financement.

Car oui, les moyens de financement sont détenus par les ménages. Un petit tour par la comptabilité nationale de la France nous permettra de nous en convaincre. Voici l’épargne nette dégagée par les différentes catégories d’acteurs pendant l’année 2018 :

(Source INSEE)

L’offre de financement est donc détenue par les ménages, la demande émane des entreprises et de l’État. Le cas de l’État est un peu particulier car il dispose d’un moyen de coercition puissant, qui s’appelle l’impôt, pour lui permettre de canaliser une partie de l’épargne disponible. Encore celui-ci est-il souvent insuffisant, cf. le tableau ci-dessus. Les entreprises n’ont pas cette capacité ce qui est un réel problème.

Il y a en effets d’énormes inadéquations entre l’offre et la demande sur ce marché si particulier du financement. En effet les ménages constituent des investisseurs potentiels bien peu adaptés aux besoins des entreprises :

  • En terme de moyens, ils détiennent collectivement la grande masse de l’épargne disponible, mais individuellement, pratiquement aucun n’a de quoi financer ne fût-ce que la camionnette et la boîte à outils d’un artisan plombier.
  • En terme d’horizon temporel ils ne vont guère au-delà de la prochaine fin de mois, si bien que leur épargne doit rester en grande partie liquide.
  • Enfin ils présentent généralement (et à juste titre) une profonde aversion pour le risque.

Tout ceci ne fait pas des ménages des investisseurs bien intéressants pour les entreprises, or ce sont pourtant bien eux qui détiennent les sous ! C’est ici qu’entrent en jeu des acteurs et des mécanismes dont on n’a pas encore parlé :

  • Une première solution au problème consiste à regrouper toutes les micro-épargnes disponibles entre les mains de quelques acteurs, qui vont assumer les risques à la place des épargnants en finançant les entreprises par le crédit. On appelle ces acteurs des banques.
  • Une deuxième solution consiste à fragmenter la demande de financement des entreprises en petites portions d’un faible montant, accessible au petit épargnant. On appelle ces petites portions des actions et des obligations, et le mécanisme de mise en relation entre l’offre et la demande, la finance de marché.

Les acteurs essentiels de la finance de marché sont les investisseurs institutionnels : compagnies d’assurance et caisses de retraite, qui drainent de l’épargne sur le long terme et doivent la faire fructifier en vue de rémunérer les vieux jours des épargnants. Cette épargne est généralement confiée à des gestionnaires d’actifs qui gèrent des portefeuilles d’actifs investis dans les titres (actions et obligations) émis par les entreprises… et par l’État.

On voit alors le rôle puissant que peut jouer la finance dans l’allocation des capitaux au financement de la transition énergétique. Cela va bien au-delà de financer un parc éolien par-ci par-là pour faire joli dans le rapport annuel d’une banque, ou d’avoir un ou deux fonds « ISR » (Investissement Socialement Responsable) dans la gamme d’une société de gestion en guise de produit d’appel. Ces comportements relèvent de l’éco-blanchiment (greenwashing en bon français) et deviennent de moins en moins recevables, pour plusieurs raisons qui ne relèvent pas que de l’image des acteurs vis-à-vis du public.

Tout d’abord les acteurs de la finance eux-mêmes sont en train de se convaincre que ne pas financer la transition écologique revient pour eux à scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ainsi que l’a résumé Henri de Castries, ex PDG d’AXA, « un monde à +2°C pourrait encore être assurable, un monde à +4°C ne le serait certainement plus ». Derrière les compagnies d’assurance, qui gèrent sur le plus long terme, les gestionnaires d’actifs sont obligés de suivre car les assureurs sont des clients essentiels pour eux. Les derniers à réagir sont les banques, qui ont l’horizon le plus court-termiste, mais ça commence à venir.

Ensuite, les autorités de régulation, avec en tête la commission européenne, sont en train, avec retard certes, de faire un énorme travail pour que la finance dite « durable », de simple effet de mode, devienne la norme. Ainsi par exemple (et ce n’est qu’un exemple) le futur règlement sur la transparence dans la finance durable « SFDR » (Sustainable Finance Disclosure Regulation), qui doit entrer en vigueur en 2021, donnera le choix aux acteurs de la finance de marché (assureurs, gestionnaires d’actifs, banques) :

  • Soit ne pas se soucier des critères ESG (Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance) dans leurs processus d’investissement et dans ce cas l’annoncer clairement et en gros dans leur communication à destination des investisseurs, avec les motivations de ce choix. Pas facile…
  • Soit tenir compte des critères ESG mais alors en publiant de manière détaillée les indicateurs chiffrés utilisés (émissions de gaz à effet de serre, empreinte carbone, exposition aux combustibles fossiles, etc. ) et la valeur absolue de ces indicateurs par rapport à leurs portefeuilles, avec l’évolution d’une année sur l’autre… Pas facile non plus, en fait, d’autant que les données ne sont pas toujours disponibles du côté des entreprises !

Finies les déclarations d’intention et les promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent… Nul doute que les lobbies bancaires et financiers sont en train de s’activer pour inciter la commission européenne à diluer le plus possible ce corpus réglementaire en cours d’élaboration. Il me semble que le mieux que nous puissions faire en tant que citoyens, n’est pas d’ignorer ce qui se passe en disant « la finance ça sert à rien », mais peut-être de maintenir la pression face aux lobbies !

Bref dans le paradigme d’une économie de marché, la finance est nécessaire (un mal nécessaire si vous voulez), donc c’est aussi un levier d’action puissant. Bien évidemment d’autres paradigmes sont possibles et ont même été testés par le passé. Malheureusement la transformation du système tel qu’il est vers autre chose, plus « dirigiste » probablement, ne se passerait pas sans quelques heurts… Et sans quelques restrictions des libertés individuelles. Avons-nous le temps et les moyens de nous offrir une révolution ?

Autre solution : « Il n’y a qu’à faire tourner la planche à billets » ? La création monétaire n’est pas dans les mains de l’État contrairement à ce qu’on croit souvent mais dans celle de la banque centrale, donc là aussi des transformations radicales seraient nécessaires. Et si même cela était possible, cela reviendrait à laisser tourner dans son coin une économie carbonée, vouée à disparaître, et à mettre sur pied, à partir de rien, la nouvelle économie résiliente et décarbonée que nous appelons de nos vœux ? Quelle énorme gâchis de temps et de moyens !

Non, décidément, même si la démarche adoptée constitue un préalable indispensable, je ne peux pas m’empêcher de penser que tôt ou tard, et plutôt tôt que tard, votre plan va se heurter au « mur de l’argent », et qu’il va falloir faire entrer les économistes dans la danse…

Bien à vous,

Françoise Caclin

4èmes rencontres climat et finance durable

Les 4èmes rencontres climat et finance durable, organisées par Option Finance, se sont tenues le 4 février 2020 devant une salle comble le matin, un peu plus clairsemée l’après-midi.

Ce que l’on retiendra en premier lieu de cette journée, c’est le contraste entre le discours des « keynote speakers » (Yann Arthus-Bertrand, Jean-Marc Jancovici, Valérie Masson-Delmotte, excusez du peu) et celui des professionnels de la finance. Cri d’alarme d’un côté, propos qui se veulent, sinon rassurants, du moins volontaristes, de l’autre.

La certitude de la catastrophe climatique à venir est maintenant admise, y compris par la majorité du public et des intervenants. Ce que disent, sur des modes différents, les « guest stars », c’est que nous devons réinventer dès maintenant une civilisation qui ne soit pas basée sur la croissance, sous peine de voir le dérèglement climatique détruire la civilisation. Y a-t-il une place dans cette civilisation non basée sur la croissance pour une finance de marché ? Peut-être, à la condition qu’elle soit durable. Ainsi que l’a résumé J-M Jancovici, la finance « durable » c’est celle qui va résister à 4 % de décroissance par an jusqu’en 2100. Comme dans « le guépard », il va falloir que tout change (dans la finance) pour que tout reste comme avant…

Le changement climatique

« Tsunami », « lame de fond », ou plus sobrement « enjeu incontournable » : les participants à la table ronde n’avaient pas forcément besoin qu’on leur fasse la leçon, mais elle fut faite néanmoins, et de manière magistrale.

Yann Arthus-Bertrand, Jean-Marc Jancovici, Valérie Masson Delmotte
Crédits: Olivier Ezratty, auteur inconnu, EnseignementSup-Recherche-Innovations

Yann Arthus-Bertrand mise sur la sensibilité et l’éthique : nous ne devons pas faire peser la responsabilité sur nos enfants. C’est à nous de changer tout de suite. Et il conclut : « j’aimerais mourir avec le sourire ».

Jean-Marc Jancovici se livre à une démonstration implacable :

  • le dioxyde de carbone est une molécule extrêmement stable. Une fois présent dans l’atmosphère, elle y restera très longtemps. Parallèlement les puits de carbone que sont les océans et les forêts perdent de leur efficacité du fait du réchauffement et de la déforestation.
  • La hausse de 2° est déjà acquise, on n’y échappera pas car elle est la conséquence des gaz à effet de serre déjà largués dans l’atmosphère. Si on ne fait rien, la hausse de température moyenne prévisible en 2100 est aux alentours de 5°.
  • 5°, c’est déjà la hausse de la température moyenne du globe entre la fin de la dernière glaciation il y a 20 000 ans et le début du néolithique il y a 10 000 ans. En Europe du Sud lors de cette période, les paysages ont évolué de la toundra (équivalent de la Sibérie actuelle) à la forêt tempérée. C’est une évolution impressionnante qui s’est opérée en 10 000 ans, mais dont les causes sont naturelles.
  • L’activité humaine s’apprête à provoquer un autre « bond », d’une amplitude équivalente, mais en seulement 200 ans et avec des causes totalement artificielles.
  • Les conséquences d’un tel choc seront massives. 4° de hausse, ce n’est pas « 2 fois pire » que 2°, c’est mille fois pire. Les conséquences ne seront pas que climatiques, mais aussi bien évidemment économiques, sociales, politiques… humaines.
  • Pour limiter la hausse des températures à 2°, il faut limiter drastiquement les émissions de CO2 d’ici à 2100 : le « budget » carbone mondial résiduel est de 750 Gt, sachant que les émissions totales depuis le début de l’ère industrielle jusqu’en 2015 ont été de 2050 Gt (source wikipedia).
  • En dépit des efforts dans le développement des énergies renouvelables nous sommes toujours massivement dépendants des énergies fossiles : celles-ci représentent 80 % des sources d’énergie dans le mix énergétique mondial. Cette part ne diminue pas : les énergies renouvelables s’ajoutent aux énergies fossiles et ne s’y substituent pas.
  • Les émissions de CO2 sont essentiellement une fonction linéaire de la croissance économique. A ce propos, la soi-disant « dématérialisation » de l’économie consiste simplement à remplacer du travail humain par du travail de machines afin de produire toujours plus d’objets, en consommant toujours plus d’énergie.
  • Il n’y a pas de « croissance durable ». Pour ne pas dépasser les 2° d’augmentation de la température, il faut une décroissance mondiale. La finance « durable » est celle qui survivra dans ce contexte de récession mondiale.

Valérie Masson-Delmotte enfonce le clou en faisant observer que les calculs des scientifiques, compilés par le GIEC, ne prennent pas en compte deux facteurs dont l’impact serait très important mais impossible à chiffrer dans l’état actuel de la science : la fonte du permafrost (zones de terres qui restent gelées toute l’année dans le grand Nord) et la fonte de la calotte glaciaire antarctique.

Les conséquences du réchauffement climatique sont visibles dès aujourd’hui : les rendements agricoles baissent dans les régions tropicales ; des crises de l’eau ont déjà lieu en région méditerranéenne ; le nombre de jours très chauds augmente ; les épisodes extrêmes (ouragans) deviennent plus fréquents et plus violents.

Partout les conséquences, actuelles ou prévisibles, représentent un mélange de risques et d’opportunités. Une chose est sûre, la transition doit se faire de manière éthique, et c’est aux pays riches de prendre leurs responsabilités dans leurs choix de consommation. La question de la sortie de la pauvreté dans les pays en développement est intimement liée à celle du changement climatique.

Clairement, au vu d’un tel état des lieux, une finance au minimum « responsable » (l’avenir nous dira si elle sera également « durable »), ne peut se concevoir qu’en prenant en compte, à tous les niveaux l’impact des choix d’investissement sur le climat (et également sur la biodiversité). Comment se positionnent les investisseurs institutionnels, compagnies d’assurance et gestionnaires d’actifs ?

Un changement de paradigme

Le constat d’un changement de paradigme est assez unanime chez les intervenants. D’une thématique de « niche » pour les portefeuilles actions, l’investissement responsable (ISR) tend à se diffuser dans toutes les strates de la finance, et donc aussi de l’économie par la pression exercée sur les entreprises par les investisseurs. La pression vient de toutes les directions simultanément pour aiguiller les investissements vers une économie bas carbone :

  • les compagnies d’assurance, très sensibles au risque climatique, qui pèsent sur les entreprises et la gestion d’actifs
  • le grand public, en particulier chez les jeunes générations, qui exige des solutions éthiques de placement de son épargne
  • le législateur et le régulateur, tant au niveau européen qu’au niveau national. L’Union Européenne affiche en particulier une stratégie très volontariste, et avance à un rythme que l’on pourrait qualifier de « marche forcée » (par comparaison à la vitesse habituelle des travaux!) dans la production de nouvelles normes pour une finance durable. L’UE détient d’ailleurs une certaine avance dans le savoir faire en matière de finance « verte ». Au niveau mondial, la tendance est moins nette : l’ONU ne permet que d’enregistrer les décisions des États, elle n’a aucun pouvoir propre. Les « COP » ne sont que des grand-messes, la concrétisation des promesses étant entièrement à la main des États participants.

Les témoignages de grandes entreprises viennent à l’appui de ce constat, en gardant toutefois une certaine lucidité face au greenwashing : quelques initiatives vertes fortement médiatisées peuvent cacher un modèle et une organisation qui globalement continuent de fonctionner comme avant.

Les pays émergents

La problématique du développement durable se pose d’une manière toute particulière dans les pays émergents. Ceux-ci sont susceptibles de subir de plein fouet les effets du dérèglement climatique, avec un contexte social et économique qui les rend moins résilients. Un effet tangible des accords de Paris aura été l’engagement des pays développés à financer la transition énergétique dans les pays en développement. Les besoins se situent en priorité au niveau de l’agriculture et de la production d’énergie. En terme de finance, il s’agit de programmes d’émission de dette verte (green bonds), dette souscrite par des investisseurs, banques et asset managers, dans les pays développés.

Cela demande de prendre en compte la réalité du terrain. Par exemple, certains pays dépendent entièrement du charbon pour leur production d’électricité, et ce via une seule compagnie de production d’électricité ! On ne peut pas dissocier l’aspect social et l’aspect environnemental. A côté, il peut y avoir aussi tout un écosystème de petites entreprises très innovantes, qui peinent à trouver du financement localement. De plus, il n’y a pas ou peu de données publiques sur les entreprises : un travail d’investigation au niveau local est indispensable.

Les compagnies d’assurance

Sachant que l’élévation de 2°C des températures ne pourra de toute façon pas être évitée, les compagnies d’assurance sont en première ligne dans la gestion du risque climatique. La question clé étant : nos dispositifs assurantiels sont-ils à même de couvrir le risque, au vu de l’augmentation à la fois de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques ?

Sur les derniers 25 ans, les compagnies d’assurances ont indemnisé 48 milliards d’Euros de dommages et prévoient un doublement de ce montant dans les 25 prochaines années. 1/3 de ce montant est lié au climat proprement dit, le reste à l’aménagement du territoire. En effet les richesses sont inégalement réparties et se concentrent dans les zones les plus vulnérables (zones côtières en particulier).

Aujourd’hui en France les périls les plus importants sont liés à l’eau, avec vingt ou trente événements de submersion marine par an. Dans le futur, les dommages les plus importants seront plutôt liés à la sécheresse, qui affecte l’agriculture en premier lieu mais aussi les maisons qui se fissurent à cause de l’affaissement des sols.

Le dispositif assurantiel en France peut-il faire face à ces évolutions ? A priori oui… du fait de l’intervention assez rapide de l’État ! En effet, le mécanisme de catastrophe naturelle, large, peu cher et mutualisé fait que l’État prend le relais rapidement. Il reste toutefois des zones d’ombre : l’outre-mer et le monde agricole, qui sont à la fois très exposés et très mal protégés ainsi que le manque de culture de la prévention chez les élus et chez les citoyens.

La gestion d’actifs

Les gestionnaires d’actifs sont en première ligne dans la réallocation du capital à la transition énergétique. Afin de savoir dans quoi elles investissent, en sus des données économiques et financières, il leur faut des données extra-financières sur l’empreinte carbone des entreprises. C’est sur ces données que les investisseurs définissent leurs critères d’investissement et leur politique d’allocation.

Les données

Les données peuvent venir soit directement des entreprises, soit par l’intermédiaire des agences de notation. Il existe de plus en plus d’indicateurs, dont certains commencent à faire consensus et c’est une bonne chose, car l’enjeu est évidemment la comparabilité de ces données. Voir pour cela les sites du CDP (Carbon Disclosure Project) ou TCFD (Task Force on Climate related Disclosure) (liens en fin d’article). Les agences de notation soumettent également des questionnaires aux entreprises. Plus globalement, la commission européenne travaille à une taxonomie visant à définir a priori les activités « vertes » c’est-à-dire qui contribuent à l’objectif de neutralité carbone en 2050.

Rappel théorique : la mesure du bilan carbone d’une entreprise prend en compte 3 périmètres ou « scope » :

  1. le scope 1 comprend les émissions de gaz à effet de serre provoquées directement par l’activité de production de l’entreprise
  2. le scope 2 recouvre les émissions liées à la consommation d’électricité, de vapeur, de chauffage et de climatisation
  3. le scope 3, le plus difficile à mesurer mais néanmoins essentiel, recouvre les émissions générées en amont : achats de produits et services, transport des marchandises, des salariés des clients et en aval : transport de marchandises, déchets, fin de vie des produits vendus, …

Quelques remarques :

  • Globalement les investisseurs préfèrent les données fournies directement par les entreprises à celles filtrées par les agences de notation, qui ont des cadres hétérogènes
  • Au delà de l’empreinte carbone, les investisseurs s’intéressent de plus en plus à la trajectoire envisagée par l’entreprise pour réduire son empreinte et s’inscrire dans le scénario des accords de Paris
  • Il y a une forte demande pour que les données soient rendues publiques et «démocratisées »
  • Il est maintenant possible d’obtenir des informations détaillées de la part des sociétés cotées, mais par contre il n’y a rien ou presque venant des PME. Or du point de vue de l’investisseur pressé, la non existence de données équivaut à une mauvaise note. Les PME n’ont pas les moyens de recourir aux services des agences de notation.
  • On peut regretter aussi l’emprise d’une vision « anglo-saxonne » de la notation ISR, axée sur l’exposition de l’entreprise au risque climatique, et non sur l’impact de ladite entreprise sur le risque climatique… pour la planète !
  • Un nouveau standard équivalent aux normes comptables IFRS, mais pour le CO2 serait nécessaire
  • Seuls les chiffres absolus ont du sens, les ratios ne permettent pas d’évaluer la réalité de la performance climatique de l’entreprise

Stratégie d’allocation de portefeuille

L’ISR est traditionnellement fondé sur

  • l’exclusion, c’est-à-dire l’élimination des portefeuilles des activités les plus controversées (charbon, …)
  • dans le reste de l’univers d’investissement, le principe du « best in class » : pour chaque secteur, le gérant retient les entreprises les mieux notées.

A ces grands principes, les sociétés de gestion ajoutent maintenant une vision plus prospective et s’intéressent de plus en plus à la stratégie des entreprises pour se situer sur une trajectoire de baisse des émissions en cohérence avec les accords de Paris. Les fonds de private equity en particulier, peuvent se permettre une analyse à 360° des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Au-delà de la création de fonds labellisés « ISR », de plus en plus de sociétés de gestion imposent une démarche responsable, en sus de la rentabilité financière, à l’ensemble de leur gestion. Cette démarche est bien évidemment stimulée par le fameux « Article 173 » de la loi sur la transition énergétique qui oblige les investisseurs institutionnels à communiquer sur leur prise en compte des paramètres environnementaux et sociaux dans leur gestion.

Malgré tous ces efforts, la marge de progression reste immense. D’une part, l’investissement ISR n’est pas encore majoritaire bien qu’il représente tout de même près du tiers des encours sous gestion en France. Mais le principal problème pour les investisseurs reste que l’économie elle-même est loin d’être décarbonée. Si bien que si l’on mesure la « température » d’un portefeuille, même ISR, on constate qu’il s’aligne plutôt sur un scénario d’élévation des températures de 3,5° que sur 2° !

L’engagement

Les asset managers misent de plus en plus sur l’engagement pour infléchir les stratégies des entreprises et par là même améliorer la notation ISR de leurs portefeuilles.

L’engagement passe par plusieurs canaux :

  • La participation et le vote aux assemblées générales, qui est le canal le plus traditionnel. Les asset managers doivent publier leur politique de vote aux AG. Cette politique de vote peut comprendre un volet « impact carbone » des décisions votées en AG. Les asset managers peuvent également demander plus de transparence sur la stratégie bas carbone des entreprises lors des AG.
  • L’engagement passe également par des contacts directs entre les gérants et les analystes de l’asset manager et les dirigeants des entreprises qu’ils financent. L’engagement axé sur les critères ESG était souvent le fait d’équipes dédiées, mais on note maintenant une tendance à faire passer le message par l’ensemble des gérants, classiques ou ISR. En effet la transition énergétique représente un risque pour l’ensemble de l’économie qui doit donc être pris en compte de manière transversale.

Un impact positif de cette politique d’engagement est qu’elle fait circuler l’information et donne aux entreprises l’occasion de se comparer avec leurs concurrents sur les thématiques liées à l’environnement. Elle permet aussi de faire passer certains messages importants vis-à-vis de la gouvernance des entreprises :

  • importance de l’implication des dirigeants au plus haut niveau dans la prise en compte du risque climatique
  • importance d’introduire une comptabilité carbone permettant de chiffrer l’ensemble des projets en valeur absolue et en allant jusqu’au « scope 3 » (voir plus haut)
  • importance d’une bonne formation des dirigeants et des cadres.

Les produits financiers

La demande du public pour des produits financiers durables augmente. Traditionnellement, les produits proposés aux institutionnels étaient fondés sur une approche « best in class ». Vis-à-vis du grand public, les asset managers misent sur des fonds « thématiques durables », construits autour de la contribution à une problématique environnementale, mais aussi sociale comme l’emploi et les entreprises solidaires.

Du côté des produits obligataires, à côté des green bonds on voit apparaître une nouvelle classe d’actifs, les « transition bonds ». Ces obligations vont permettre de financer des industries fortement émettrices, donc non éligibles aux green bonds, mais cependant résolues à décarboner leur activité.

Enfin, du côté des assureurs, les contrats d’assurance vie vont devoir proposer systématiquement des UC (Unités de Compte) ISR aux côtés des UC « classiques ».

Les labels sont importants pour communiquer vis-à-vis du grand public, mais paradoxalement ils ne sont pas toujours très lisibles car il y en a beaucoup avec des approches différentes. De plus ils se cantonnent souvent à une approche « verte » de bout en bout, sans mettre en avant la transition énergétique.

La formation

On note enfin avec intérêt la récurrence du thème de la formation chez les intervenants. Il y a un besoin criant de formation et d’information à tous les niveaux.

Les gérants et les analystes ont besoin de se former pour utiliser au mieux les nouveaux indicateurs extra-financiers et savoir valoriser globalement un actif ou un portefeuille, en prenant en compte la performance financière et environnementale.

Les distributeurs de produits financiers : conseillers financiers dans les banques et les compagnies d’assurances, conseillers en investissement financier (CIF) indépendants affichent une méconnaissance assez générale des produits verts et oublient de manière récurrente de les proposer à leurs clients ! Pourtant, d’ici peu il deviendra obligatoire de proposer ce type de produits.

Un travail de sensibilisation et de pédagogie est à faire aussi au niveau du grand public. Les sondages montrent une forte demande pour une épargne durable, en décalage avec la réalité des investissements qui restent très « classiques ».

Liens utiles

CDP Carbon Disclosure Project https://www.cdp.net/fr

Climate Action 100+ http://www.climateaction100.org/

European Union Technical Expert Group on sustainable finance https://ec.europa.eu/info/publications/sustainable-finance-teg-climate-benchmarks-and-disclosures_en (CTB EU Climate Transition Benchmark ; PAB : EU Paris-aligned Benchmark)

NDC Nationally Determined Contributions https://unfccc.int/fr/contributions-determinees-au-niveau-national-ndcs

FIR Forum pour l’Investissement Responsable https://www.frenchsif.org/isr-esg/

TCFD Task Force on Climate-Related Financial Disclosures https://www.fsb-tcfd.org/

The green swan : central banking and financial stability in the age of climate change (BIS) https://www.bis.org/publ/othp31.htm

ODD Objectifs de Développement Durable (ONU) https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/

SASB Sustainability Accounting Standards Board https://www.sasb.org/

AFG (Association Française de Gestion) https://www.afg.asso.fr/solutions-depargne/presentation-isr/

Le label Greenfin https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/label-greenfin

Net zero asset owner alliance https://www.unepfi.org/net-zero-alliance/