
Depuis le lancement par la commission européenne de ce projet d’union bancaire, et de confier la supervision des banques européennes à la BCE, deux choses me titillent.
Premièrement, qu’est-ce qui justifie cette expression bizarre, « union bancaire », qui fait surgir l’image, fausse évidemment, d’une super-méga banque à l’échelle européenne, issue de l’union (contre-nature) de plusieurs banques? Non décidément ce n’est pas ça. Il s’agit plutôt de l’union des réglementations, pour aboutir à un corpus réglementaire commun, applicable à l’ensemble des banques de l’union. Oui mais, avec toutes les directives et réglementation existantes au niveau européen, ce n’était pas déjà un peu le cas?
Au final, cette union bancaire ressemble surtout à un habillage conceptuel en vue d’introduire l’autre volet du projet, à savoir la supervision des banques par la BCE. Car qui dit réglementation dit supervision, et unifier la réglementation implique de confier la supervision à une autorité unique, à savoir la BCE. Et voila la deuxième chose qui me titille. Je mettrais bien ma main au feu, me disais-je, que l’idée de donner un rôle à la BCE dans la supervision a été soulevée en 2009-2010, dans la foulée de la crise des subprimes, quand tout un chacun (G20, Commission européenne, FSA, etc.) y allait de son rapport pour expliquer la crise et inventorier toutes les mesures qu’on allait prendre dare-dare pour que plus jamais ne se reproduise une telle catastrophe et on allait voir ce qu’on allait voir. (on a vu: cf. le dernier épisode consternant, la manipulation des taux du LIBOR). Et, me disais-je subséquemment (car j’emploie toujours un langage très châtié quand je me parle à moi-même), je crois bien me rappeler qu’à l’époque des personnes faisant autorité avaient statué que c’était une mauvaise idée.
Heureusement, j’ai des archives sur mon disque dur et je suis donc en mesure de vous dire pourquoi ce n’était pas une bonne idée, en 2009, de confier la supervision des banques européennes à la BCE.
Tout d’abord une citation du rapport Deletré : « (..) la littérature met en valeur également le risque de conflit d’intérêt entre détermination de la politique monétaire d’une part et gestion de la supervision bancaire d’autre part. Compte-tenu des impacts très importants que les décisions de politique monétaire peuvent avoir sur le bilan des banques, confier à la Banque Centrale une responsabilité en matière de supervision bancaire n’entraîne-t-il pas un risque important de voir cette dernière éventuellement rechigner à prendre les décisions que l’objectif de contrôle de l’inflation imposerait au motif que cela risquerait de mettre en difficulté les banques qu’elle aurait la charge de superviser par ailleurs ? Ne risque-t-elle pas même dans certains cas de se montrer délibérément « laxiste » en matière de politique monétaire pour tenter de sauver des intermédiaires financiers en difficulté qu’elle a la charge de superviser ? »
Qu’à cela ne tienne, il y aura à la BCE une muraille de Chine entre la politique monétaire et la supervision, nous dit-on.
Tout aussi intéressant, que lit-on dans le rapport de Larosière (qui n’est plus non plus sur le site de la commission européenne…)? Celui-ci considère le rôle que la BCE pourrait jouer dans la surveillance macro et micro prudentielle. Et conclut sans appel que si la BCE en tant que banque centrale a un rôle important à jouer dans la surveillance macro-prudentielle (c’est-à-dire, surveiller les indicateurs financiers et économiques afin d’anticiper les crises systémiques), il n’est par contre pas du tout souhaitable de lui confier la supervision micro prudentielle, c’est-à-dire le contrôle des établissements bancaires à l’échelon individuel, pour les raisons suivantes:
- Conflit d’intérêt avec la politique monétaire: en cas de crise, le superviseur devient fortement impliqué avec les autorités locales en vue de venir en aide aux établissements en difficulté. Cela générerait un conflit d’intérêt avec la politique monétaire. C’est exactement ce que dit aussi le rapport Deletré.
- En cas de crise, la BCE devrait discuter simultanément avec la multiplicité des ministères des finances et des autorités de supervision locales des états-membres.
- Un certain nombre de banques centrales du SEBC (Système Européen de banques Centrales) n’ont aucune compétence en terme de supervision. La BCE ne trouverait donc pas de relais local « naturel » dans ce cas.
- Le traité européen ne donne aucune latitude à la BCE pour traiter avec les compagnies d’assurance, or dans un système financier de plus en plus unifié les activités de banque et d’assurance devraient être surveillées conjointement.
Et encore ne s’agissait-il à l’époque que de la surveillance des établissements ayant des activités transfrontalières, alors que la Commission préconise aujourd’hui de confier à la BCE la surveillance de toutes les banques.
Alors qu’est-ce qui a changé entre 2009 et 2012 pour que la BCE devienne maintenant le superviseur unique légitime des banques de la zone Euro (et plus si affinités)? Je n’ai pas de réponse en termes rationnels à cette question. D’autant plus qu’un rapide coup d’œil à l’organisation de la BCE montre qu’elle ne détient à l’heure actuelle aucune des compétences requises. La Banque de France non plus me direz-vous, mais la Banque de France ne fait que présider l’ACP, autorité administrative indépendante, via le gouverneur de la BDF. Bon au final, si j’étais méchante je dirais qu’au bout de 3 ans, le lobbying a fini par porter ses fruits.