Le recours à la convention-cadre

Absence de règles officielles de marchés

Le recours à la convention-cadre est né dans les années 80 de la pratique bancaire anglo-saxonne. Elle est apparue sur les marchés de gré à gré (marchés libres) lesquels sont dépourvus de toute règle, du moins officielle, d’encadrement. Il convient alors de distinguer les marchés réglementés des marchés de gré à gré.

Les marchés réglementés (ex. en France Eurolist, MATIF, MONEP) sont des marchés qui font l’objet d’une reconnaissance officielle par l’Etat et sont soumis en France au contrôle de l’AMF. Ils garantissent ainsi les intervenants de l’application uniforme d’un ensemble de règles impératives dont la vocation est d’assurer le respect de grands principes dans la poursuite des négociations sur instruments financiers et notamment la sécurité des transactions. Leur organisation et fonctionnement sont assurés par une entreprise de marché. En France il s’agit d’Euronext.

Les marchés de gré à gré quant à eux se caractérisent par une grande liberté des parties dans la détermination des règles applicables à leurs transactions puisque leur fonctionnement n’est pas spécifiquement organisé. Dès lors les opérations et instruments financiers qui y sont traités sont soumis au droit commun et aux règles que les parties ont décidé d’appliquer à leurs relations, la loi des parties ; l’engagement se fait par la signature de convention(s) dont le contenu laisse libre recours à la liberté contractuelle. De cette liberté est né le besoin de recourir à des conventions-cadres portant sur les instruments financiers en vue d’organiser les marchés qui ne l’étaient pas. Les conventions-cadres permettent de fournir aux intervenants un ensemble contractuel faisant office de règles de fonctionnement pour les transactions à venir et un traitement unifié ou quasi-unifié des litiges.

Sécurité et rapidité

Sur de tels marchés il a fallu instaurer des règles à même de présenter des garanties similaires à celles des marchés réglementés tout en assurant les impératifs de rapidité et de sécurité des transactions. Effectivement ces marchés ne sont soumis ni à l’obligation d’intermédiation (supprimée par la directive MIF) ni à celles de l’intervention d’une chambre de compensation qui permet de prévenir de risque de défaillance.

Ainsi afin de pallier cette absence de réglementation spécifique, les conventions-cadres se sont développées sur les marchés de gré à gré afin d’apporter aux intervenants un corps de règles applicables à leurs transactions tout en leur permettant de se sécuriser. En effet ces règles présentent un ensemble de garanties qui facilitent leur usage et rassurent les investisseurs. Les opérations sont souvent complexes, précises et détaillées et nécessitent donc l’application de règles protectrices des incertitudes du marché.

Ces règles envisagent notamment les modalités de dénouement de l’issue (heureuse ou malheureuse selon que l’on se place du côté de l’acheteur ou du vendeur) d’une transaction en cas de survenance d’un événement particulier, par exemple en cas de faillite de l’une ou l’autre des parties et prévoient des modalités de calcul des sommes restant dues. Le développement des conventions-cadres et leur utilisation quasi-systématique expriment le besoin des établissements financiers de vouloir au mieux maîtriser le risque.

Standardisation

Dès lors, lorsqu’un produit financier rencontre un certain succès il fait l’objet d’une standardisation dans une convention-cadre. Une association professionnelle (l’ISDA par exemple) se charge alors de rédiger une documentation de référence.

L’intérêt de leur utilisation est évident : il permet une rationalisation des opérations, on parle également de globalisation. En effet et d’une manière générale la convention se compose schématiquement d’une partie rigide, agissant comme des « Conditions générales » applicables à toutes les opérations à venir entre les parties et reprenant les grands principes appliqués aux négociations, et d’une partie souple « la confirmation » faisant office de « Conditions particulières » et reprenant les spécificités de la transaction, les parties négociant alors ce seul point pour chaque nouvelle transaction. Chaque confirmation est donc soumise aux principes généraux établis par la convention-cadre.

Définition de la convention-cadre

Il est alors plus aisé de proposer une définition de la convention-cadre. Une convention-cadre est une convention par laquelle les parties fixent entre elles (négocient) les principales règles qui régiront leurs contrats à venir sur le marché et sur lesquelles elles s’appuieront par la suite pour exécuter leurs engagements, permettre l’accomplissement des modalités. La standardisation aboutit en quelque sorte à éluder la phase de négociation.

Les conventions-cadres de place

La notion de place fait référence à une place financière donnée. Une convention-cadre de place reçoit cette qualification dès lors qu’elle émane d’une association professionnelle et qu’elle contient des clauses qui reprennent des principes généraux communs aux conventions-cadres. Aboutir à cette qualification n’est pas toujours simple et le succès de l’utilisation de telle ou telle convention-cadre participe à cette qualification. Ainsi cette reconnaissance permet l’application notamment des règles de compensation.

Une convention-cadre n’est donc pas élaborée par une administration ou une autorité émanant de l’état, elle n’a donc pas valeur de loi ou de règlement. Il s’agit de règles de droit privé qui suivent le régime du droit des contrats.

Non-application des règles du droit des faillites

Une convention-cadre de place qui se voit reconnaître cette qualité échappe, du moins en France, à l’application du droit des faillites. Ainsi dans le cadre des relations contractuelles issues de cette convention, de nouvelles garanties (ex. nantissement, gage…) peuvent être prises par les créanciers postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective ; ce qui en principe n’est pas autorisé. De même une compensation entre des créances et des dettes réciproques peut intervenir postérieurement sans que les autres créanciers à la procédure n’aient leur mot à dire. Cette dérogation au droit des faillites s’effectue si certaines conditions tenant à l’opération et aux parties sont accomplies.

Typologie

Les conventions-cadres se présentent comme de véritables sources de droit en matière d’instruments financiers et particulièrement dans les opérations de produits dérivés.

Les parties ont le libre choix de la convention-cadre qui régira leurs relations sur le marché de gré à gré. Il en existe plusieurs selon les transactions et les produits visés :

  • Les ISDA (International Swaps Derivative Association) pour les swaps et contrats financiers à terme (produits dérivés) ; l’ISDA publie le 2002 ISDA Master Agreement
  • Les AFB (Association française de banque) devenue FBF (Fédération Française de Banque) pour les « opérations de marché à terme » et les produits dérivés, s’applique en général quand l’une des parties à la qualité de résident français
  • L’AFTB (Association Française des Trésoriers de Banque) pour les pensions livrées
  • L’AFTI (Association Française du Titre) et GMSLA (Global Master Securities Lending Agreement) pour les prêts de titres
  • Les ISMA (International Securities Market Association) pour les « Repo »
  • L’EMA (Euro Master Agreement) pour les opérations de pensions livrées…
  • L’ICOM (International Currency Option Market Master Agreement) pour les options de change
  • L’IFEMA (International Foreign Exchange Master Agreement)
  • La FXNET (Foreign Exchange Netting and Close-out Agreement) pour les opérations sur devises
  • Les OSLA (Overseas Securities Lending Agreement) pour les prêts de titres ou les PSA Agreements, standards dans le domaine de l’industrie
  • Les GMRA  (Global Master Repurchase Agreement) pour les pensions livrées; actuellement en vigueur GMRA 2000, 3ème version
  • Les MSLA (Master Securities Lending Agreement ) pour les prêts de titres
  • Les SLAA (Securities Lending Authorisation Agreement) pour les prêts de titres lorsqu’un intermédiaire intervient entre les parties

On parle de convention-cadre nationale lorsque les intervenants ont la même nationalité ou internationale lorsqu’ils sont de nationalités différentes. En effet certaines clauses d’une convention-cadre peuvent venir à s’appliquer différemment selon la situation.

Les conventions-cadres mono-produits ne portent que sur un seul produit ; elles sont qualifiées de multi-produit dans le cas inverse. 

Normalisation

Le processus de normalisation s’effectue principalement par le biais des associations professionnelles auxquelles adhèrent les entreprises (majoritairement des banques mais pas seulement) ou institutionnels qui interviennent dans les opérations concernées . En effet ces associations étudient et analysent les transactions qui se réalisent sur les marchés de gré à gré, organisent des réunions de travail, des conférences et adaptent leur documentation à la structure des marchés et aux attentes des intervenants. Elles cherchent alors à faire se conjuguer efficacité et sécurité des marchés; leur fonction régulatrice n’est donc plus à démontrer. La dimension internationale des normes qu’elles mettent en place participe à leur succès et leur permet de bénéficier d’un rayonnement à travers les 5 continents. Les échanges et opérations s’en trouvent facilités et fluidifiés. Elles sont généralement rédigées en anglais.

Quelques associations professionnelles:

  • L’ISDA (International Swap and Derivatives Association) créée en 1985, environ 840 membres, basée à New-York
  • La PASLA (Pan Asia Securities Lending Association) créée en 1995, environ 53 membres, basée à Hong-Kong
  • L’ISLA (The International Securities Lending Association) créée en 1989, environ 100 membres, basée à Londres
  • L’ICMA ( The International Capital Market Association), environ 400 membres basés à Zurich (et Londres)
  • La SIFMA (Securities Industry and Financial Markets Association) , environ 650 membres
  • The RMA (Risk Manager Association) créée en 1914, environ 3000 membres, basée à Philadelphie

Principales clauses : les mécanismes de protection de la partie non défaillante

À défaut de présenter les garanties de sécurité suffisantes du fait de l’absence d’encadrement tenant au marché lui-même (marché de gré à gré), les conventions-cadres contiennent des mécanismes « palliatifs » qui protègent les intervenants dans l’hypothèse de la survenance d’évènements susceptibles de mettre en danger l’une ou l’autre des parties et qui peuvent mettre fin de façon prématurée à l’opération.

Les événements de crédit

Les événements de crédit sont les événements qui, dès leur survenance, « activent » les mécanismes de protection à l’égard de la partie non défaillante (non defaulting party). Dès lors qu’un de ces événements vient à se produire le mécanisme s’enclenche. Il s’agit le plus souvent d’un événement lié au paiement d’une somme d’argent. Dans les conventions-cadres ISDA ou FBF les parties peuvent choisir dans la confirmation (partie souple et donc négociable) les événements qu’elles considéreront comme étant des événements de crédit. Les événements de crédit répertoriés peuvent être : le défaut de paiement de la part d’une des parties, la non-fourniture de garanties ou une faillite.

La résiliation anticipée et la compensation (close-out netting ou global netting)

Le mécanisme de protection s’analyse principalement dans la résiliation anticipée de la ou des transaction(s) et la compensation des créances et dettes issues de cette relation. Ces deux mécanismes complémentaires doivent être prévus dans la convention-cadre pour venir à s’appliquer.

La résiliation anticipée (early termination) met fin à la ou les opérations en cause dès la survenance de l’événement de crédit. Elle donne ainsi le droit à la partie non défaillante (non defaulting party) de rompre le contrat par anticipation dès qu’un événement vient à se produire. Il peut être également prévu que la survenance d’un événement de crédit affectant une transaction soumise à une convention-cadre déterminée entraîne la résiliation automatique de toutes les transactions conclues entre les parties à ce même titre.

Il faut alors dénouer l’opération, les parties devant régler les sommes que chacune d’elles se doivent. La compensation permet alors d’aboutir au calcul d’un solde net compensé.

Les créances et les dettes se compensent entre elles pour aboutir à la détermination d’un solde net compensé unique.

Ainsi est-on amené, pour faire le lien entre ces deux mécanismes, à parler de résiliation-compensation (ce mécanisme est également prévu par le Règlement général de l’AMF pour les marchés réglementés).

La résiliation-compensation simple (close-out netting) opère entre des transactions issues d’une même convention-cadre; la résiliation-compensation globale ou générale (global netting) opère entre des transactions issues de conventions-cadres différentes, les soldes nets compensés au titre de plusieurs conventions-cadres se compensent à leur tour entre eux.

Garanties en cas de faillite

En France les opérations sur instruments financiers échappent au droit des faillites (voir paragraphe « les conventions-cadres de place ») mais à condition que celles-ci soient régies par une ou plusieurs conventions-cadres « respectant les principes généraux de conventions-cadres de place, nationales ou internationales ».

Définitions

Des annexes comprennent les définitions des principaux termes, produits ou opérations employés dans la convention-cadre : les dérivés de crédit, les obligations, les options sur devises, les swaps… Ces définitions acquièrent alors une valeur contractuelle qui en cas de contestation permet de bien délimiter les contours de l’opération.

Contenu

Voici les rubriques que peuvent contenir les conventions-cadres : les cas de défaut de la contrepartie ou de défaillance, les événements amenant à une résiliation anticipée des opérations, les causes de rupture ou d’extinction, les conditions et modalités de paiement, la représentation et les garanties, la compensation des créances réciproques (netting) et le calcul d’un solde net global, la loi applicable, le retard de paiement, les modalités relatives à l'emploi de différentes devises et les conversions, la soumission de l’opération à plusieurs conventions-cadres, le traitement fiscal des opérations, les modes de conclusion et de confirmation des transactions, des définitions…

Schéma de fonctionnement et articulation

La définition même de la convention-cadre (voir plus haut) permet de bien comprendre leur fonctionnement.

Un accord intervient entre les parties qui s’engagent à soumettre leurs futures transactions à telle convention-cadre. Ensuite elles désignent dans chaque nouveau contrat par référence, c’est-à-dire dans chaque nouvelle confirmation, la convention-cadre applicable à l’opération.

Il existe alors une partie intangible (hard provisions), que l’on peut comparer à des « Conditions générales », comprenant les grands principes applicables à l’opération et une partie souple faisant office de « Conditions particulières » (soft provisions). Il y a donc une hiérarchie des règles, la confirmation ne pouvant en principe pas contredire la convention-cadre.

Chaque fois que les parties entendent conclure une opération, celle-ci fera l’objet d’une confirmation qui sera de facto soumise à la convention-cadre mentionnée. Chaque opération est distincte des autres mais en cas de défaut de contrepartie, il en ressort un solde global issu de la compensation de toutes les dettes et créances réciproques.

La confirmation est un document très succinct qui peut tenir en une page ou quelques-unes ce qui permet un traitement très rapide des opérations qui deviennent alors très nombreuses.

Les règles issues des conventions-cadres restent des règles de droit privé. Il est alors possible aux intervenants de déroger pour partie à certaines stipulations et de leur en substituer d’autres.

Conventions-cadre