Les fraudes et manipulations de marchés peuvent impacter tous types d’investisseurs, du petit épargnant particulier aux plus grosses institutions financières, voire même des États. Mais la réciproque est également vraie : tout le monde peut frauder.

➡️ Voici un tour d’horizon des principales fraudes, manipulations et abus se déroulant sur les marchés financiers.

Opérations d’initié

Crédit: Mike Licht, NotionsCapital.com
Le crime en col blanc.

Délit d’initié (insider trading)

Pratique consistant à profiter indûment d’une information privilégiée avant que celle-ci ne soit rendue publique. Une information privilégiée est une information précise sur un émetteur qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer le cours de certains instruments financiers. La communication d’une information privilégiée à un tiers est également illégale, même si l’informateur n’en tire pas profit.

Le délit d’initié peut être le fait de personnes travaillant chez un intermédiaire financier, mais aussi chez l’émetteur de l’instrument financier.

Manipulations de marché

Marking the close

Placer des ordres en toute fin de journée en vue d’influer sur le cours de clôture de l’instrument financier. Le cours de clôture est souvent utilisé comme cours de référence pour d’autres transactions ou instruments, donc un opérateur de marché peut être tenté d’influer sur celui-ci dans le sens qui lui convient.

De telles pratiques pourraient avoir lieu sur le marché des devises, et font actuellement l’objet d’investigations. Le cours de fixing sert classiquement de prix de référence pour les opérations avec la clientèle des banques. Les manipulations sur le Libor peuvent également s’apparenter à ce type de tromperie puisqu’elles avaient pour but de fixer le taux à un niveau utile aux traders, mais sans rapport avec la réalité.

Pump and Dump

Littéralement « gonfler et larguer », le Pump & Dump est une manipulation de marché qui consiste à gonfler artificiellement la valeur d’une action achetée à bas prix (annonces mensongères, achat massif à des valeurs bien supérieures à la normale, etc…), dans le but de la revendre à bon prix et générer une énorme plus-value. Au moment de la revente, généralement massive, le cours de l’action va dégringoler et engranger de lourdes pertes pour les autres investisseurs.

Cette méthode de manipulation est surtout possible avec les petites capitalisations boursières (smallcap) et les marchés peu ou pas réglementés, notamment les cryptomonnaies.

Fausse rumeur / Spoofing

Consiste à poster des ordres dans le carnet sans intention réelle de négocier à ce prix, mais simplement dans le but d’influer sur le cours.

💡 Cette manipulation s’appelle « spoofing » car un « spoof » en anglais désigne une fausse rumeur.

Layering of order book

Cas particulier et sophistiqué de spoofing (propagation de fausse rumeur dans le carnet d’ordres) consistant à :

  1. Poster un grand nombre ordres, à des prix différents mais proches du meilleur prix, d’un seul côté du carnet (achat ou vente), afin de créer une illusion de liquidité et de pression sur la tendance
  2. Poster un ordre unique dans la direction opposée, ce dernier ordre reflétant bien sûr l’intention réelle de l’opérateur
  3. Dès que l’ordre en question est exécuté, annuler tous les autres ordres.

Quote stuffing

Tactique consistant à poster puis annuler de nombreux ordres portant sur des quantités importantes dans le carnet, obligeant ainsi les autres négociateurs à perdre du temps à traiter et interpréter ces ordres. Ce type de manipulation est évidemment rendu possible par le trading algorithmique, et vise à contrer les algorithmes concurrents.

Painting the tape, Wash trades

Consiste à acheter et vendre effectivement un instrument financier de manière répétée en vue de donner l’impression d’une activité inusitée et inciter d’autres opérateurs à prendre position. Cette manipulation peut être effectuée de concert entre deux ou plusieurs acheteurs et vendeurs, ou bien par un seul opérateur qui passe par l’intermédiaire de deux brokers différents. Par rapport à un « aller-retour » rapide, la manœuvre est considérée comme frauduleuse à partir du moment où le ou les investisseurs incriminés ne prennent pas de risque économique réel.

Manquements aux obligations des intermédiaires

Front running

Pratique consistant pour un intermédiaire à utiliser pour son propre compte une information, avant que ces clients ne puissent en faire usage, généralement en profitant d’un avantage technique ou organisationnel. C’est donc un cas particulier de délit d’initié. Cette information peut être contenue dans :

  • Les analyses des équipes de recherches.
  • Les ordres des clients eux-mêmes. C’est le cas le plus classique et le plus intéressant: un broker reçoit un ordre sur une quantité importante, susceptible de faire décaler le marché, émanant d’un client. Il place son propre ordre avant (littéralement il « court devant » le client), ce qui va lui permettre de tirer profit du mouvement de marché induit par l’ordre du client, lequel de son côté va être pénalisé par l’indélicatesse de son broker.

Remarque amusante: certains acteurs du marché, y compris ses propres clients, suspectaient Bernard Madoff d’obtenir ses rentabilités fantastiques en utilisant massivement le « front running ». En effet, Madoff opérait simultanément en tant que broker et market maker et en tant que gestionnaire de fonds. La SEC s’y était même intéressée, sans rien trouver pour étayer ses soupçons, et pour cause. Au final , il s’est avéré que la fraude de Madoff était une simple (mais massive) pyramide de Ponzi

Best execution / trade through violations

Il s’agit du fait pour un broker de ne pas exécuter les ordres de ses clients au meilleur prix possible. La réglementation, tant en Europe (MiFID) qu’aux Etats-Unis (RegNMS), a facilité la fragmentation des marchés en autorisant le développement des plateformes alternatives de négociation (ATS, MTF). Dans le même temps, et afin de pallier cette fragmentation, elle impose aux brokers de faire en sorte de trouver à tout instant les meilleures conditions d’exécution possibles pour leurs clients.

Les manquements à cette obligation sont principalement dus à des négligences et ne consistent pas forcément des abus de marché, mais peuvent le devenir s’ils sont pratiqués en vue d’en tirer un avantage. Par exemple un broker qui offre sa propre plateforme de négociation peut être tenter de garder les ordres de ses clients même si un concurrent offre un meilleur prix…

Il est à noter que la réglementation est sur ce sujet beaucoup plus contraignante aux Etats-Unis qu’en Europe. La MiF impose à l’intermédiaire de « prendre toutes les mesures raisonnables pour obtenir » les meilleures conditions possibles. En pratique cela consiste principalement à définir une politique de « best execution », à en informer le client, et à être capable de démontrer que cette politique est effectivement mise en œuvre… même si elle ne produit pas le résultat escompté! Aux Etats-Unis, le « trade through », qui consiste à router l’ordre d’un client vers la plateforme qui n’offre  pas le meilleur prix à l’instant où le client a transmis son ordre constitue clairement une infraction.

Churning

Il s’agit pour un broker ou un vendeur de générer quantité d’ordres sur le compte d’un client, sans bénéfice réel pour celui-ci, dans le seul but de générer des commissions. Ce type de manipulation n’est évidemment possible que si le client a donné le contrôle de son compte au broker en vue de lui confier tout ou partie de sa politique d’investissement.

Manipulations spécifiques à la gestion pour compte de tiers et à la gestion collective

Portfolio pumping

Cas particulier de « marking the close ». En fin de mois ou de trimestre, les gestionnaires peuvent être tentés d’influer à la hausse sur le cours des valeurs qu’ils détiennent déjà en portefeuille en plaçant des ordres d’achats. Cette méthode leur permet, comme le nom l’indique, de gonfler artificiellement leur performance et de donc de percevoir une meilleure rémunération.

Market timing

Le market timing est une pratique consistant à tirer avantage du décalage entre la valeur liquidative d’un fonds et la valorisation réelle des instruments financiers entrant dans la composition du portefeuille. Sur les fonds actions, les souscriptions-rachats ont lieu « à cours inconnu », c’est-à-dire que la valeur liquidative du jour J n’est connue qu’après la clôture des ordres de souscription-rachat pour ce même jour. Un opérateur ayant connaissance de la composition exacte du portefeuille peut profiter de ce décalage dans la diffusion de l’information pour réaliser une opération d’arbitrage sur le fonds.

Late trading

Le late trading consiste à faire passer un ordre de souscription-rachat après l’heure limite de réception des ordres, toujours dans le but de réaliser un arbitrage entre la valeur liquidative et la valorisation réelle des instruments détenus par le fonds.

Le market timing et le late trading nécessitent des complicités chez le gestionnaire du fonds ou chez les prestataires intervenant dans la conservation ou la valorisation du fonds.

Les arnaques ciblant les investisseurs particuliers

L’objet de cet article est de vous présenter les principales fraudes et escroqueries « en cols blancs », au sein des institutions financières. Cela peut vous paraître assez éloigné de votre quotidien si vous ne travaillez pas dans le domaine de la Finance. Néanmoins, ces fraudes peuvent également vous impacter plus ou moins directement.

➡️ Nous avons donc détaillé les techniques et les escroqueries les plus courantes vous ciblant dans notre article : Trading et investissement : comment éviter l’arnaque ?

Mais que fait la police ?

🚨 Au cas où cette lecture vous donnerait des idées, toutes ces manipulations sont évidemment interdites par la réglementation et le contrevenant encourt des peines pouvant aller jusqu’à de la prison ferme. En Europe, la directive « abus de marché » (MAD) et la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID) s’appliquent principalement.

Toutes les manipulations de carnet d’ordres ou manipulations de cours sont rendues beaucoup plus faciles – et beaucoup plus difficiles à détecter – par l’utilisation des algorithmes de trading. En parallèle, les autorités de marché se dotent d’outils informatiques sophistiqués censés les aider à détecter des « patterns » susceptibles de signer des manœuvres frauduleuses. C’est l’éternelle histoire du gendarme et du voleur.

Plutôt que de détecter après coup d’hypothétiques infractions, l’AMF s’attache principalement à développer une culture de la conformité chez les prestataires de services d’investissement. Ainsi, les sanctions prononcées en 2013 par l’AMF portent principalement sur des manquements aux obligations de moyens.

De plus, la réglementation prévoit que toute déclaration de soupçon communiquée de bonne foi à l’AMF met le PSI à l’abri de poursuites.