Introduction

Dans cet article, nous présentions les grandes lignes de la réforme du suivi du risque de marché, définie par le comité de Bâle et connue sous le nom de FRTB. Dans le présent article, nous allons passer en revue la méthode standard de calcul du risque, basée sur les sensibilités, qui est entrée en vigueur pour les banques en 2023.

Rappelons que même les banques qui optent, avec l’accord de leur autorité de tutelle, pour une méthode interne, doivent être en mesure de calculer leur risque de marché et leur charge en capital avec la méthode standard. C’est une des raisons pour lesquelles il est judicieux de s’y intéresser, l’autre étant que cette approche constitue en soi une bonne base pour une vision pédagogique du risque de marché.

La méthode standard fait l’objet d’une présentation extrêmement détaillée dans le document du Comité de Bâle de janvier 2016, « Minimum Capital requirements for market risk », ci-après désigné « le document ». Le but de cette présentation n’est évidemment pas de reproduire ce document, mais d’en proposer une approche concentrée sur les grands concepts, et nous l’espérons, plus pédagogique.

Globalement, le calcul du risque de marché par la méthode standard consiste à déterminer une charge en capital par classe de risque et à les cumuler pour déterminer la charge en capital globale pour le risque de marché. A celle-ci viennent s’ajouter la charge pour le risque de défaut, ainsi que la surcharge pour le risque résiduel.

Dans cet article nous allons nous concentrer plus particulièrement sur le calcul du risque de marché. On pourrait faire le parallèle avec une recette de cuisine : l’important est d’avoir les bons ingrédients… puis de respecter les étapes de la préparation.

Les ingrédients

Il n’est pas évident de choisir un ordre de présentation des différents paramètres de calcul (les ingrédients), car la définition des indicateurs de risques (Delta, Véga et Curvature) fait référence aux facteurs de risques (classes, facteurs, corrélations)… et réciproquement.

Classes de risqueParamètres de calculIndicateurs de risque
TauxFacteurs de risque
Buckets
Pondérations
Delta
Crédit hors titrisation
Crédit titrisation CTPVega
Crédit titrisation hors CTPCoefficients de corrélation intra-bucket
Coefficients de corrélation inter-buckets
ActionsCurvature
Matières premières
Change
Paramètres de calcul des indicateurs de risques

Classes de risques

7 classes de risque de marché sont définies :

  • Taux : GIRR, General Interest Rate Risk
  • Spread de crédit ou CSR, Credit Spread Risk, lequel est subdivisé en 3 catégories :
    • Actions
    • Matières premières
    • Change
  • Risque non lié à la titrisation
  • Risqué lié à la titrisation dans le portefeuille de corrélation ou CTP, Correlation Trading Portfolio
  • Risque lié à la titrisation hors portefeuille de corrélation

Un effort tout particulier a été porté sur l’analyse du risque de spread de crédit, avec une classification fine des différents instruments qui sont à l’origine de la crise financière de 2008.

Facteurs de risque

Pour chaque classe de risque et indicateur (Delta, Vega et Curvature, cf. ci-dessous), le document identifie les facteurs de risque qui doivent être pris en compte pour le calcul des sensibilités, ainsi que les pondérations à appliquer pour calculer les « sensibilités pondérées » dont l’agrégation donnera directement la charge en capital.

D’une façon générale, un facteur de risque est une donnée de marché observable ou mesurable qui est susceptible d’avoir une influence sur la valorisation et donc le résultat généré par un instrument financier.

Quelques exemples de facteurs de risques pour le calcul du Delta

  • Risque de taux : les facteurs de risques sont déterminés par les courbes de taux, et identifiés pour un ensemble prédéfini de points (3M, 6M, 1Y, 2Y, 3Y, etc.) ou « vertex » en anglais.
  • Risque de crédit : courbes de spread de crédit (obligations ou CDS) pour un ensemble prédéfini de points
  • Actions : prix des actions et taux de repo
  • Matières premières : prix des matières premières suivant les différentes échéances des contrats négociés (spot, 3M, 6M, etc.)
  • Change : cours des devises de négociation des instruments en portefeuille face à la devise de comptabilisation de la banque

Facteurs de risque pour le calcul du Véga et de la Curvature

  • Vega : les facteurs de risque sont les volatilités implicites des options qui ont pour sous-jacent les facteurs de risque du Delta (options de taux pour le risque de taux, options sur actions, etc.)
  • Curvature : les facteurs de risque sont calqués sur les facteurs de risque utilisés pour le calcul du Delta

Les facteurs de risque pour les différentes classes de risque et les 3 indicateurs sont détaillés dans les sections 59 à 66 du document.

Buckets et pondérations

Le document définit un « bucket » comme un ensemble d’instruments d’une même classe de risque partageant les mêmes caractéristiques et donc si l’on peut dire un même « profil de risque ». Ce terme « bucket » peut être source de confusion. Par exemple pour le risque de taux les « buckets » au sens de FRTB sont tout simplement… les devises, ce qui ne correspond pas à l’acception courante en salle de marché, où les buckets dans ce contexte correspondent plutôt à des intervalles de temps.

  • Taux : les buckets correspondent aux différentes devises
  • Crédit (hors titrisation et titrisation du CTP): les buckets correspondent à une classification à deux niveaux du risque de crédit, par qualité (investment grade, high-yield & non-rated) d’une part et par secteur économique (souverains, finance, …) d’autre part
  • Crédit (titrisation hors CTP) : les buckets correspondent également à une classification à deux niveaux, avec la qualité du crédit en premier niveau, et en deuxième niveau un « secteur » de titrisation : RMBS, CMBS, ABS, CLO…
  • Actions : les buckets correspondent à une classification à 3 niveaux des actifs : market cap (large / small), économie (émergents, avancées) et enfin secteur économique (biens et services de détail, télécom et industrie…)
  • Matières premières : les buckets correspondent, assez logiquement, à des catégories de matières premières (énergie, métaux, agriculture…)
  • Change : paires de devises

Les buckets sont les mêmes pour les 3 indicateurs de risques (Delta, Véga et Curvature). Par contre à chaque bucket sont associées des pondérations (Riskweight) spécifiques à chaque indicateur.

Le produit de la sensibilité calculée pour un facteur de risque donné, et de la pondération correspondant au bucket de risque, ou sensibilité pondérée (weighted sensitivity) donne une charge en capital que l’on pourrait appeler « élémentaire » (pour un indicateur de risque, un facteur de risque,  un bucket de risque).

Coefficients de corrélations

Pour obtenir la charge en capital globale pour une classe et un indicateur de risque, il faut agréger les sensibilités pondérées. Ceci ne se fait pas en les sommant tout simplement, car il faut tenir compte à la fois de la diversification des portefeuilles et de la propension des facteurs de risque à fluctuer simultanément. C’est là qu’entrent en jeu les coefficients de corrélation. Il y en a deux catégories correspondant aux deux niveaux d’agrégation.

  • Les coefficients de corrélation « intra-bucket » sont utilisés pour agréger des sensibilités à l’intérieur du même bucket de risque dans une première étape. Ces coefficients sont désignés par la lettre grecque ρ dans la documentation.
  • Les coefficients de corrélation « inter-bucket » sont utilisés pour agréger des sensibilités entre buckets afin d’obtenir la sensibilité globale pour la classe de risque. Ces coefficients sont désignés par la lettre grecque γ.

La définition des coefficients de corrélation peut être plus ou moins complexe. Par exemple, pour le risque de spread de crédit, entre 2 sensibilités WSk et WS1 au sein du même bucket, le coefficient de corrélation ρkl est défini ainsi :

ρ_{kl}=ρ^{(name)}_{kl}⋅ρ^{(tenor)}_{kl}⋅ρ^{(basis)}_{kl}

Où :

  • ρklname = 1 quand les 2 émetteurs de k et l sont identiques, 35% sinon ;
  • ρkltenor = 1 quand les 2 points de la courbe de crédit sont identiques pour k et 1, 65% sinon
  • ρklbasis = 1 si les 2 sensibilités sont relatives à la même courbe, 99.9% sinon

Par exemple (exemple tiré du document FRTB), le coefficient de corrélation entre la sensibilité sur la courbe de l’obligation Apple à 5Y et la sensibilité sur la courbe de CDS Google à 10Y est 35% · 65% · 99.9% = 22.73%.

Les buckets, pondérations et coefficients de corrélation sont décrits :

  • Aux paragraphes 73 à 121 pour le calcul du Delta
  • Aux paragraphes 122 à 128 pour le calcul du Véga
  • Aux paragraphes 131 à 133 pour le calcul de la Curvature

Les formules qui utilisent les coefficients de corrélation pour calculer les sensibilités agrégées sont décrites plus bas.

Indicateurs de risque

Pour chaque classe de risque, il faut calculer 3 indicateurs agrégés ou « sensibilités » : le Delta, le Vega et la Curvature, les 2 derniers ne s’appliquant qu’aux options et instruments incorporant une composante optionnelle.

Le Delta

Le Delta correspond à la sensibilité de la valeur d’une position à une variation d’un point de base (0.01%) du facteur de risque analysé. Dans le cas du risque de taux par exemple on calculera une « PV01 » (Price Value ou valeur prix d’un point de base).

Les formules de calcul du Delta pour les différentes classes de risque sont détaillées dans le paragraphe 67 du document.

Par exemple, pour un instrument `i` sensible au risque de taux (par exemple une obligation), on calculera le Delta (PV01) ainsi :

s_{k,r_t}=\frac{V_i(r_t+0.0001, cs_t)−V_i(r_t,cs_t)}{0.0001}

Où :

  • rt représente la courbe de taux sans risque au point r
  • cst représente la courbe de spread de crédit pour l’instrument considéré au point r
  • vt est la fonction qui calcule la valeur de marché de l’instrument i en fonction du taux sans risque et du spread de crédit

À noter que la sensibilité au spread de crédit, la CS01, se calculera de manière similaire mais en faisant varier le spread au lieu du taux sans risque :

s_{k,r_t}=\frac{V_i(r_t,cs_t+0.0001)−V_i(r_t,cs_t)}{0.0001}

Note : dans la suite des calculs, les sensibilités sont multipliées par les pondérations, pour donner les sensibilités dites « pondérées ». Or ces pondérations sont exprimées en pourcentage, d’où la division par 0.0001 à ce stade…

Le Vega

Le Vega est égal au produit du vega et de la volatilité implicite de l’option ; sachant que le vega lui-même représente la sensibilité du prix de l’option à la volatilité implicite.

En période de stress sur les marchés, la volatilité augmente considérablement pour la plupart des classes d’actifs. Par conséquent, les acteurs achètent des options afin de couvrir leurs portefeuilles, si bien que le prix des options et leur volatilité augmentent également, ce qui impacte de nouveau la valeur des actifs… C’est pourquoi les régulateurs ont décidé d’adresser plus spécialement la volatilité des actifs dans le suivi du risque de marché.

La Curvature

Le risque de Curvature enfin, consiste à appliquer une variation significative (un « choc ») à la hausse et à la baisse à chaque facteur de risque, et à retenir la variation la plus importante de la valeur de marché de l’instrument, déduction faite du Delta.

La charge en capital pour le risque de curvature pour le facteur de risque k se calcule de la manière suivante :

CVR_k=−min[∑_i{V_i(x_k^{RW^{(curvature)+}})−V_i(x_k)−RW^{(curvature)}_ks_{ik}},\\∑_i{V_i(x^{RW^{(curvature)−}}_k)−V_i(x_k)−RW^{(curvature)}_k.s_{ik}}]

Où :

  • i est un instrument sujet au risque de curvature pour le facteur de risque k
  • xk est la valeur courante du facteur de risque k
  • Vk(xk) est le prix de l’instrument i pour la valeur courante du risque k
  • Vi(xkRW(curvature)- et Vi(xkRW(curvature)+) représentent le prix de l’instrument i après que le facteur de risque k ait été décalé respectivement dans le sens décroissant et croissant
  • RWkcurvature est la pondération affectée au facteur de risque k défini par la documentation
  • sik est le delta de l’instrument i pour le facteur de risque k

Alors que le delta repose sur une sensibilité à des petites variations des facteurs de risque, la curvature cherche à capturer l’effet d’une variation importante (un « choc ») de ce même facteur de risque.

Sélection des paramètres de calcul

Au final, on remarquera que la sélection des paramètres de calcul est multidimensionnelle : chaque couple défini par une classe de risque et un indicateur détermine un ensemble différent de facteurs de risque, de buckets, de pondérations et de coefficients de corrélation.

Préparation

Globalement, les étapes du calcul sont les suivantes :

  • Identifier les facteurs de risques
  • Calculer les sensibilités pondérées
  • Agréger les sensibilités
FRTB méthode

Identifier les facteurs de risques

La première étape consiste à identifier, pour tous les instruments détenus dans le portefeuille de trading, les facteurs de risque qui s’appliquent et à quels buckets de risque ils appartiennent.

Exemples :

  • Une obligation corporate en $ de durée de vie résiduelle 1 an, détenue dans un portefeuille comptabilisé en € est sensible au risque de taux sur les échéances 3M, 6M et 1Y, mais aussi au risque de spread de crédit sur l’émetteur, et également au risque de change EUR/USD
  • Une action cotée en £ est sensible au risque action sur la catégorie de l’émetteur et également au risque de change EUR/GBP
  • Une swaption (option sur swap) est sensible au risque de taux mais également à la volatilité des taux de marché sur la durée de vie de l’option
  • Un ABS (Asset-Backed Security) est sensible au risque de spread de crédit sur la catégorie de la dette sous-jacente

Calculer les sensibilités nettes par facteur de risque

L’étape suivante est de calculer des sensibilités nettes par facteur de risque pour les instruments en portefeuille. Le terme « net » est important, il signifie que l’on calcule la somme arithmétique de tous les Delta (respectivement tous les Véga et toutes les Curvatures) calculés sur un facteur de risque donné dans le portefeuille de trading. De ce fait, les sensibilités de sens opposé à un même facteur de risque se compensent, ce qui est logique du point de vue du risque : une position sensible dans une direction à un facteur de risque peut être couverte par une autre position qui varie en sens inverse. Autrement dit, au sein d’une même classe de risque et pour un même indicateur, l’effet de diversification du portefeuille joue à plein pour réaliser des « économies » en charge de capital face au risque de marché.

Calculer les sensibilités pondérées

Chaque sensibilité nette est ensuite affectée de la pondération prévue par la documentation pour le facteur + bucket de risque concerné pour donner la sensibilité pondérée ou « weighted sensitivity ».

WS_k=RW_{k^Sk}

Agréger les sensibilités par classe de risque

Agréger les sensibilités par bucket

Il faut ensuite agréger les sensibilités pondérées par bucket de risque. Pour le Delta et le Véga, la formule de calcul de la charge en capital pour le bucket b est la suivante :

K_b=\sqrt{∑_kWS^2_k+∑_k∑_{k≠l}ρ_{kl}WS_kWS_l}

Où :

  • k et l représentent des facteurs de risque
  • ρkl le coefficient de corrélation entre les facteurs de risque k et l
  • WSk et WSl représentent des sensibilités pondérées aux facteurs k et l

Agréger les sensibilités par classe de risque

L’agrégation par classe de risque s’effectue de manière similaire en utilisant les résultats de l’étape précédente et les coefficients de corrélation entre buckets au sein de la même classe de risque :

Delta=∑_bK^2_b+∑_b∑_{c≠b}γ_{bc}S_bS_c

Où :

  • Sb (respectivement Sc) est égal à la somme des WSk pour tous les facteurs de risque au sein du bucket b (respectivement c)
  • γbc est le coefficient de corrélation entre les buckets b et c

Remarques

Les formules d’agrégation pour le Delta et le Véga sont identiques, elles diffèrent légèrement pour la curvature. La documentation prévoit également des scénarios alternatifs pour le cas où la quantité sous la racine carrée est négative.

Scénarios

Ce double processus d’agrégation doit être effectué 3 fois par classe de risque et par indicateur, avec 3 scénarios de corrélation différents : faible, moyen et fort. Pour chaque indicateur, on retiendra le scénario de corrélation qui donne le résultat final (Delta + Vega + Curvature, pour l’ensemble des classes de risque) le plus élevé.

L’idée des 3 scénarios permet de tenir compte du fait qu’en période de stress sur les marchés, les corrélations entre facteurs de risques peuvent augmenter ou au contraire diminuer. Le scénario « médium » correspond aux valeurs « de base » des coefficients de corrélation définis par la documentation. Le scénario « low » consiste à multiplier tous ces coefficients par 0.75, et le scénario « high » à les multiplier tous par 1.25.

Calculer la charge en capital finale

Le Delta (respectivement le Véga et la Curvature) final est simplement égal à la somme des Delta (respectivement Véga et Curvature) par classe de risque. A ce stade du calcul, il n’y a plus d’impact de la diversification du portefeuille sur la charge en capital. La charge en capital totale est simplement égale à la somme Delta + Véga + Curvature. On va en calculer 3 puisqu’il y a 3 scénarios de corrélation, et retenir la plus élevée comme charge en capital pour le risque de marché.

FRTB calcul final

À cette charge en capital pour le risque de marché qui découle directement des sensibilités aux facteurs de risques, il faudra ajouter :

  • La charge pour le risque de défaut (default risk charge)
  • La surcharge (residual risk add-on) pour le risque résiduel

…afin d’obtenir la charge en capital finale :