
L’investissement à impact a le vent en poupe dans le monde de la gestion d’actifs. Cet article s’attache à décrire précisément en quoi consiste cette stratégie, en particulier dans le but de mettre en évidence les critères objectifs qui permettent à un fonds de se revendiquer de cette mouvance. En effet « l’impact washing » se développe, comme le « green washing » s’est développé en parallèle de la finance verte. Nous tenterons ici de faire une synthèse aussi claire et complète que possible de plusieurs référentiels et rapports sur l’investissement à impact qui sont cités en référence en fin d’article.
Définition
L’investissement à impact s’inscrit complètement dans la finance durable, qu’il essaie de porter un cran plus loin. En bref l’investissement à impact recherche explicitement et simultanément la rentabilité économique et un impact social et environnemental positif et mesurable.
L’ISR (Investissement Socialement Responsable) cherche avant tout à limiter les externalités négatives (par exemple en excluant le charbon) dans une approche de développement durable, mais qui n’exclut aucune activité a priori. L’investissement à impact va plus loin en se donnant pour objectif de générer des externalités positives.
NB: on entend par « externalité » (définition de Encyclopædia Universalis) « le fait que l'activité de production ou de consommation d'un agent affecte le bien-être d'un autre sans qu'aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet ». Une externalité peut être négative, c’est le cas de la pollution, mais elle peut aussi être positive, comme une innovation dans le domaine du recyclage des déchets.
En principe, l’investissement à impact peut concerner toutes les classes d’actifs. Il est toutefois plus facile de mettre en place une démarche d’impact dans le non coté. Dans ce contexte l’investisseur a en effet toute latitude pour sélectionner des entreprises avec un impact fort, généralement dans des créneaux de niche, et les accompagner dans la durée en étant proche de l’équipe de direction. On commence cependant à voir des démarches d’impact se développer dans le coté ou sur le marché du crédit.
L’investissement à impact est évalué à 715 milliards de dollars d’encours sous gestion en 2020 (source : GIIN Global Impact Investing Network), ce qui en fait encore un segment de niche dans le monde de la gestion d’actifs, avec un grand nombre d’acteurs de petite taille. L’approche se diffuse cependant dans le monde de l’ISR, avec un grand nombre d’investisseurs qui utilisent les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU pour évaluer l’impact positif de leurs fonds.

Critères
Dans la définition donnée plus haut, tous les mots sont importants. Pour qu’un investissement puisse effectivement être considéré comme ayant un impact positif il doit satisfaire trois critères : intentionnalité, additionalité et mesurabilité.
L’intentionnalité décrit la volonté explicite et annoncée ex ante de contribuer à un objectif social ou environnemental précis et mesurable. Cet objectif oriente toutes les décisions d’investissement du fonds. Il concerne principalement l’investisseur, pas nécessairement l’entreprise ciblée.
L’additionalité concerne l’action ou la contribution particulière de l’investisseur en vue d’accroître l’impact net positif généré par l’entreprise investie. L’additionalité peut être financière quand elle consiste à financer des actifs peu couverts par le marché. Elle peut être extra-financière quand elle consiste à accompagner activement l’entreprise dans son développement.
La mesurabilité consiste à définir des indicateurs de mesure de l’impact, à les suivre tout au long de la vie de l’investissement et à communiquer régulièrement sur ces indicateurs. L’indicateur peut mesurer l’augmentation d’une externalité positive, ou la diminution d’une externalité négative sur une durée donnée. Il peut être quantitatif de préférence, ou qualitatif à défaut. Il couvre principalement l’impact des produits de l’entreprise, mais peut aussi décrire l’impact de ses processus de production. Enfin et surtout, l’indicateur est utilisé dans toutes les décisions d’investissement et fait l’objet d’un reporting dans la communication du fonds.
À propos de la mesurabilité, la notion d’impact net mérite d'être précisée. Tout en recherchant l’augmentation d’une externalité positive, l’investisseur doit bien évidemment s’attacher à limiter les externalités négatives. C’est le principe « do no significant harm » de la taxonomie européenne. Dans cette optique, l’impact net mesure donc l’augmentation des externalités positives, diminuée des éventuelles externalités négatives. Concrètement, ce calcul comporte de nombreuses difficultés méthodologiques.
Pratique
L’investissement à impact dans la pratique va orienter l’activité du fonds tout au long du processus d’investissement.
Contribuer intentionnellement à un objectif environnemental ou social
Au départ, il s’agit d’identifier un besoin social ou environnemental mis en évidence par la science, par l’expérience de l’investisseur, ou demandé par le public. Par rapport à cet objectif, l’investisseur va définir des objectifs d’impact transparents et alignés sur des référentiels connus, par exemple les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU.
Ce travail d’analyse aboutit à la formulation d’une « thèse d’impact » (similaire au « thème d’investissement » d’un fonds classique) reprenant ces objectifs, qui va orienter la stratégie mise en place pour atteindre ces objectifs.
Gérer activement la performance d’impact tout au long du cycle de vie de l’investissement
Définir un référentiel d’évaluation et de gestion de l’impact positif au niveau du portefeuille
L’investisseur va s’attacher à rechercher et utiliser les meilleures sources de données possibles pour mesurer les indicateurs définis en relation avec l’objectif exprimé. Pour entrer un peu plus en détail dans la description de ces fameux indicateurs, ceux-ci doivent répondre à un certain nombre de critères :
- Ils permettent à la fois de nourrir les décisions d’investissement, de piloter les entreprises en portefeuille, et de rendre compte de l’impact dans le reporting.
- Ils répondent à plusieurs questions :
- Quoi ? Quel est le résultat concret sur la période ?
- Qui ? Qui a bénéficié de ce résultat ?
- Combien ? Quelle est la mesure de ce résultat en relation avec un scénario de référence et en prenant en compte les éventuelles externalités négatives
- Contribution effective : Ce résultat aurait-il pu être obtenu autrement ?
- Risque : Quelle est la probabilité d’atteindre l’objectif ? Quel est le risque que le résultat ne soit pas obtenu ?
- Ils présentent certains critères de qualité :
- Ils se basent sur des référentiels et des standards existants.
- La méthodologie de calcul est transparente.
- Ils sont quantitatifs de préférence, qualitatifs si nécessaire.
- Ils peuvent être agrégés pour donner un indicateur d’impact global au niveau du portefeuille.
Une fois les indicateurs retenus, ceux-ci vont orienter les stratégies d’investissement pour adresser le besoin, tout en maîtrisant les impacts négatifs potentiels.
L’investissement à impact s’inscrit dans une démarche d’amélioration constante, que ce soit dans la recherche des sources de données ou la rigueur des méthodes de sélection et d’évaluation des investissements. Ceci implique la mise en place d’une gouvernance adaptée à la stratégie d’impact, qui embarque tous les acteurs du fonds, via par exemple un « comité d’impact ». Cette gouvernance doit en particulier s’attacher à aligner les intérêts financiers (entre autres la rémunération du gérant) avec la réalisation des objectifs d’impact.
Mesurer et gérer systématiquement chaque investissement dans le cadre du référentiel défini
Toutes les fois que cela est possible, l’investisseur s’attache à incorporer des boucles de rétroaction sur toute la vie de chaque investissement. Concrètement, cela consiste à :
- Mener une politique d’engagement vis-à-vis des entreprises investies : suivre les progrès de chaque investissement par rapport aux objectifs, identifier les potentiels impacts négatifs de chaque investissement et mettre en place des mesures d’atténuation ;
- Gérer la sortie de chaque investissement en cohérence avec l’objectif global d’impact ;
- Utiliser les résultats et tirer les leçons des investissements passés pour améliorer les méthodes, les mesures et les processus.
Divulguer les performances d’impact aux investisseurs et aux entreprises investies d’une manière aussi comparable que possible
Le reporting d’impact doit être robuste, intègre et transparent. Il décrit la totalité du processus d’investissement. Les indicateurs publiés s’accompagnent d’une analyse de leur qualité et de leur fiabilité (disponibilité des données, limites, pertinence…).
Enfin le gestionnaire du fonds se soumet activement à un processus de vérification indépendant par un acteur externe.
Dans cette optique, l’investisseur s’efforce aussi de contribuer activement à la croissance de l’investissement à impact. Il communique de manière transparente sur son degré d’implication dans l’investissement à impact. Il utilise des standards et des pratiques approuvées. Il partage avec la communauté des investisseurs toutes les informations et enseignements non confidentiels recueillis au cours de sa pratique.
Référentiels
Le référentiel de base de l’investissement à impact est les Objectifs de Développement Durable (ODD ou SDG : Sustainable Development Goals en anglais) de l’ONU. Au nombre de 17, ces objectifs « répondent aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice ». Ils sont en effet suffisamment larges (pas de pauvreté, pas de famines, accès aux services de santé pour citer les trois premiers) pour que n’importe quel investissement à impact puisse automatiquement se rattacher à au moins l’un d’entre eux.
Dans le même esprit, toujours émanant de l’ONU, on peut citer les six « Principes pour l’Investissement Responsable » (PRI).
Il existe par ailleurs plusieurs référentiels méthodologiques définissant les grands principes et méthodes de l’investissement à impact proprement dit. Ces référentiels ont grandement servi à nourrir le présent article. Citons ainsi :
- En premier lieu la base IRIS+ du Global Impact Investing Network (GIIN) constitue une mine d’information avec la possibilité de rechercher des indicateurs classés par thème (les ODD ou les activités économiques), assortis de commentaires et de références bibliographiques.
- L’Impact Management Project (IMP), forum professionnel dont la réflexion a abouti à la définition des cinq dimensions de l’impact : quoi, qui, combien, contribution, risque.
- Les neuf « Operating Principles for Impact Management », signés par des firmes qui s’engagent à publier un rapport de vérification émanant d’un acteur indépendant.
- Enfin une initiative française du FIR (Forum pour l’Investissement Responsable) et de France Invest portant sur « une définition exigeante de l’investissement à impact pour le coté et le non coté ».
Sources
- Objectifs de Développement Durable (ONU)
- Principes pour l’Investissement Responsable (ONU)
- Global Impact Investing Network (GIIN) ; voir notamment « Core characteristics of impact investing » et la base IRIS+
- Impact Management Project (IMP)
- Operating Principles for Impact Management (OPIM)
- « Cahier Investissement à Impact » du FIR (Forum pour l’Investissement Responsable) et France Invest
- Les débats Finance et Impact de Option Finance (vidéos)
- ex ante : au préalable