Les obligations vertes (« green bonds » en Anglais) ont le vent en poupe depuis plusieurs années. Mais qu’est-ce qu’une obligation verte, et en quoi se distingue-t-elle d’une obligation classique ?
Définition
Une obligation verte représente une part d’un emprunt dont le produit est intégralement alloué au financement ou au refinancement d’un ou plusieurs projets ou actifs durables existants ou nouveaux.
Remarques :
- On le voit tout de suite, la question de la transparence sur l’usage des fonds levés lors de l’émission va être au cœur des préoccupations tant des émetteurs que des investisseurs.
- Nonobstant, une obligation verte reste avant tout une obligation, c’est-à-dire un titre représentatif d’une fraction d’un emprunt de l’émetteur, avec toutes les caractéristiques, financières ou de risque, attachées aux obligations.

Principes et bonnes pratiques
Dès 2017, l’ICMA (International Capital Market Association) a publié les Green Bond Principles (GBP). C’est actuellement le cadre de référence le plus connu. Il a été mis à jour pour la dernière fois en juin 2021.
Face au développement rapide du marché, et aux risques évidents de greenwashing, la Commission européenne a planché en 2021 sur un projet de règlement européen. Ce règlement, qui s’appuie sur la taxonomie européenne des actifs durables, constituera une véritable norme, permettant aux émetteurs qui s’y conforment d’utiliser la dénomination « EuGB » (« European Green Bond ») pour leurs obligations vertes. Avant d’entrer en vigueur, il doit être adopté par le parlement européen.
Green bond principles (ICMA)
Les GBP sont un ensemble de « bonnes pratiques » auxquelles les émetteurs peuvent adhérer sur la base du volontariat.
Principes
Utilisation des fonds
Les fonds levés doivent être intégralement alloués à des projets qui présentent des bénéfices environnementaux. Ces projets doivent être décrits et évalués, si possible de manière quantitative, dans la documentation financière de l’obligation, donc en préalable à l’émission (transparence ex ante).
Les objectifs environnementaux poursuivis se rattachent aux catégories suivantes :
- atténuation du changement climatique
- adaptation au changement climatique
- préservation des ressources naturelles
- préservation de la biodiversité
- lutte contre la pollution
Les émetteurs sont encouragés à faire référence à des nomenclatures existantes, comme la taxonomie européenne.
Sélection des projets financés
L’émetteur se conforme à un processus de sélection des projets et actifs financés qui prend en compte :
- les objectifs de durabilité,
- les règles qui permettent de valider que le projet entre dans l’une au moins des catégories mentionnées plus haut,
- l’identification et la gestion des risques sociaux et environnementaux associés aux projets,
- le positionnement du projet dans la stratégie globale de l’émetteur relativement aux enjeux de durabilité
- l’alignement éventuel du projet avec des normes ou taxonomies existantes,
- les mesures d’atténuation des risques sociaux et environnementaux prévues.
Idéalement, ce processus devrait être revu par un auditeur externe mais cela n’est pas une obligation.
Gestion des produits de l’émission
Les fonds levés par l’émission, ou un montant équivalent, sont déposés sur un compte ou un portefeuille dédié, ou tracés d’une manière appropriée par l’émetteur. Ce compte peut être spécifique à chaque obligation verte, ou géré de manière globale pour l’ensemble des obligations vertes de l’émetteur. L’émetteur s’engage à un haut niveau de transparence dans la gestion des fonds, et le recours à un audit externe est encouragé.
Reporting
L’émetteur établit un reporting au moins annuel, et plus fréquent en cas d’événement notable, décrivant les investissements financés, et ce jusqu’à l’utilisation complète des fonds. Ce reporting non seulement décrit les investissements mais en mesure les impacts suivant une méthode et des indicateurs précis (transparence ex post).
Il est également recommandé, mais pas obligatoire, que ce reporting soit revu par un auditeur indépendant.
Limites
Les GBP définissent un cadre, mais leur principale limite réside dans le caractère non contraignant de ce cadre. Les émetteurs y adhèrent sur la base du volontariat. En pratique, on constate des écarts importants entre les émissions sur différents aspects :
- définition claire du caractère « vert » des projets (alignement sur la taxonomie européenne recommandé mais pas obligatoire),
- divergence dans les méthodes de reporting,
- manque de standardisation de l’expertise menée par les auditeurs externes,
- analyse de l’impact environnemental principalement ex ante
Comme l’émetteur n’a pas d’obligation juridique dans le cadre des GBP, l’investisseur ne dispose pas non plus de prérogatives pour vérifier le caractère « vert » des projets financés. La Chine est ainsi le premier émetteur mondial d’obligations vertes, qui financent entre autres des projets de « charbon propre »...
Projet de règlement européen
Le futur règlement européen vise à créer un véritable label « vert », audité indépendamment, qui nécessite pour être obtenu de répondre à des critères objectifs et ainsi évite le greenwashing.
Objectifs
Les principaux objectifs du règlement sont les suivants :
- Faciliter la mobilisation des capitaux pour des projets durables sur le plan environnemental. Cet objectif s’inscrit dans le contexte plus large des actions de la Commission européenne en matière de finance durable, le « pacte vert » pour l’Europe.
- S’appuyer sur une définition commune des activités durables telle que portée par le règlement « taxonomie ».
- Harmoniser les règles de sélection des projets et de communication pour les émetteurs.
- Faciliter l’accès à l’information et la comparaison entre les produits pour les investisseurs.
- Lutter contre la fragmentation du marché européen.
Dispositions
Label
Le règlement instaure la création d’un label « EuGB » (pour European Green Bond) avec des obligations uniformes.
Actifs financés
Les obligations labellisées « EuGB » permettent de financer tout type d’actif du moment qu’il correspond aux critères de la taxonomie :
- immobilisations corporelles ou incorporelles
- actifs financiers y compris les actifs des ménages
- dépenses de capital et dépenses d’exploitation y compris les dépenses des ménages
Fondé sur la taxonomie
Les activités financées sont sélectionnées conformément aux critères définis par la taxonomie, sachant que celle-ci est par définition destinée à évoluer. Les émetteurs doivent donc s’appuyer sur les critères en vigueur au moment de l’émission, et disposent d’un délai de 5 ans pour adapter leur processus de sélection aux nouveaux critères après que ceux-ci aient été publiés.
De même, les activités financées sont celles qui satisfont aux critères de la taxonomie ou y satisferont dans un délai de 5 ans. L’objectif est que l’intégralité des fonds soient affectés à des activités durables avant l’échéance de l’obligation. L’émetteur doit fournir un plan d’alignement sur la taxonomie montrant comment cet objectif sera atteint.
Émetteurs
Le label peut être obtenu par tout type d’émetteur :
- Émetteurs souverains : ceux-ci ont la possibilité d’utiliser les fonds levés au financement direct de projets mais aussi indirect via des allègements fiscaux ou des subventions. Le contrôle de l’utilisation des fonds peut être confié à des entités publiques habilitées à contrôler les comptes publics.
- Émetteurs financiers : ceux-ci doivent faire la démonstration, dans leurs rapports d’affectation, que l’intégralité des fonds levés sont bien allés au financement d’actifs durables au sens de la taxonomie au moment de leur création. Ils doivent également faire la démonstration que la valeur de leur encours d’obligations vertes est au moins égale au montant total des actifs financiers durables inscrits dans leur bilan.
- Entreprises non financières
- Collectivités territoriales
Obligations d’information
Celles-ci sont nombreuses ! En effet l’émetteur devra être en mesure de fournir trois documents types :
- La fiche d’information EuGB contient toutes les informations utiles à l’émetteur. Elle est obligatoire dans tous les cas, contrairement au prospectus, et vient en complément de celui-ci lorsqu’il est requis.
- Les rapports annuels d’affectation doivent être publiés jusqu’à l’affectation intégrale du produit de l’émission. Ils démontrent que les fonds ont été affectés conformément aux exigences de la taxonomie. L’auditeur externe (cf. plus bas) valide l’utilisation des fonds conformément à la taxonomie mais aussi conformément aux objectifs décrits dans la fiche d’information.
- Le rapport d’impact doit être produit au moins une fois pendant la vie de l’obligation. Il rend compte de l’incidence réelle sur l’environnement de l’obligation verte.
Ces documents sont établis conformément à des plans type fournis en annexe du règlement (objectif d’harmonisation de la documentation). Les documents d’examen produits par les examinateurs externes sont eux-mêmes harmonisés.
Les documents doivent être disponibles en accès libre sur le site internet de l’émetteur. Ils doivent être transmis à l’autorité de contrôle nationale et à l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF, ESMA en anglais).
Les documents peuvent porter sur une seule ou plusieurs émissions.
Examinateur externe
La mission de l’examinateur externe est de revoir les fiches d’information avant l’émission et les rapports d’affectation après celle-ci. Il produit des documents d’examen eux-mêmes normés.
L’examinateur externe doit être enregistré auprès de l’AEMF. Celle-ci publie la liste des examinateurs externes enregistrés, surveille leur activité, y compris via des inspections sur place, et peut appliquer des sanctions administratives.
L’examinateur externe publie ses documents d’examen en accès libre.
Les auditeurs publics (par exemple la cour des comptes en France) ne sont pas soumis à l’obligation d’enregistrement auprès de l’AEMF.
Rôle des autorités de surveillance nationales
Les autorités de surveillance nationales (par ex. l’AMF en France) veillent à ce que les émetteurs publient les documents demandés conformément et dans les délais prévus par la réglementation.
Acteurs
Émetteurs
En émettant des obligations vertes, les émetteurs communiquent sur leur stratégie environnementale, diversifient leur base d’investisseurs et améliorent la qualité du dialogue en leur sein entre direction financière, direction du développement durable et directions opérationnelles.
Historiquement les premiers émetteurs d’obligations vertes ont été la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et l’Agence française de développement. Les états, les entreprises et collectivités territoriales sont arrivés ensuite.
La Climate Bonds Initiative, une organisation internationale qui promeut les obligations vertes, recense 1500 émetteurs à fin 2020.
Trésor français
En France, le Trésor émet des OAT obligations vertes depuis 2017. Du fait du principe d’universalité budgétaire, les fonds ne peuvent pas être directement affectés à des projets spécifiques. Mais un rapport annuel permet d’établir que les fonds levés correspondent à un montant au moins égal de dépenses vertes éligibles. Les émissions sont supervisées par un conseil d’évaluation des OATvertes formé de huit experts indépendants.
Union Européenne
Dans le cadre du plan de relance européen Next Generation EU (NGEU), la Commission européenne lèvera 250 milliards d’euros d’obligations vertes sur les cinq prochaines années, et deviendra ainsi le plus gros émetteur d’obligations vertes.
En parallèle, l’Europe développe un ensemble de mesures réglementaires pour assurer la transparence du marché et guider les investisseurs vers des investissements véritablement écologiques.
Investisseurs
Pour les investisseurs, les obligations vertes permettent de répondre à la demande des épargnants de produits financiers fléchés vers des actifs durables et de développer et maîtriser un style de gestion intégrant les critères environnementaux.
Marché
Le marché des obligations vertes devient un segment solide du marché obligataire, avec une bonne liquidité.
En 2021, les émissions nouvelles sont évaluées à 509 milliards de dollars contre 240 en 2020 (source : Climate Bonds Initiative).
Le marché connaît par ailleurs une diversification vers les obligations sociales ou les obligations durables. Ces dernières mixent en fait des objectifs sociaux et environnementaux.
Ainsi les SLB (Sustainability Linked Bonds) représentent une catégorie à part d’obligations vertes liées non pas à des projets spécifiques mais à des indicateurs de durabilité : les caractéristiques financières sont liées à l’atteinte par l’émetteur de certains objectifs chiffrés de durabilité.
Discussion
Utilité
L’utilité du marché des obligations vertes ne fait pas de doute par rapport à l’urgence de la transition écologique et à la nécessité de financer celle-ci, à condition bien sûr d’éviter le greenwashing !
Les obligations vertes ont également vocation à soutenir la mise en œuvre des politiques publiques de transition.
Prime verte ou « greenium »
En principe, le fait qu’une obligation soit labellisée
« verte » n’a pas d’influence sur le risque de crédit associé à l’émetteur, et
donc sur les conditions auxquelles celui-ci doit trouver à se financer sur le
marché. Ceci est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas d’avantage supplémentaire
pour l’investisseur à détenir une obligation verte plutôt qu’une obligation
classique du même émetteur.
On constate pourtant l’existence d’une « prime verte » ou
« greenium » qui peut atteindre 4 points de base (soit un décalage de 0,04 % par
rapport au taux demandé pour le même émetteur pour une obligation classique de
même durée).
A quoi est due cette prime verte ? Sans doute à une forte demande de la part des investisseurs d’une part, et à un message de confiance en provenance de l’entreprise émettrice d’autre part.
Certaines études mettent pourtant en évidence un rendement à l’échéance plus faible pour les obligations vertes face aux obligations classiques. Cela peut faire craindre l’émergence d’une « bulle verte ». Cependant, on constate que les investisseurs deviennent aussi de plus en plus éclairés et analysent en premier lieu le risque intrinsèque de l’émetteur.
Lutte contre le greenwashing
Comme dans tous les produits « verts », le risque de greenwashing est grand, en particulier en l’absence d’un standard commun et transparent qui s’applique à tous. Il serait dommage que certains acteurs opportunistes ternissent l’image du marché dans sa globalité. C’est pourquoi le projet de règlement européen est attendu avec impatience pour définir un « level playing field ».
Ainsi, le Parlement européen a proposé des améliorations au texte, exigeant notamment que toutes les EuGB disposent de plans de transition vérifiés. Comme le dit le rapporteur du texte, Paul Tang :
« La norme des obligations vertes européennes doit être totalement alignée sur la taxonomie de l'UE pour devenir l'étalon-or du marché international des obligations vertes. Et avec les plans de transition, nous plaçons les obligations vertes européennes au cœur de la transition des entreprises vers une économie durable. Nous sommes déterminés à mettre fin au blanchiment écologique. Lorsque ce règlement aura force de loi, le simple fait de dire que l'obligation de votre entreprise est verte ne suffira plus »