Maîtriser la finance […] par le vote d’une loi sur les banques qui obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives.

F. Hollande, discours du Bourget, 22 janvier 2012

Une tendance mondiale à la régulation avec des différences selon les pays

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (SRAB) suit une tendance mondiale de maîtrise des activités de marché en s’appuyant sur le principe suivant : les marchés sont intrinsèquement instables et les activités de marché intrinsèquement déstabilisantes. Il faut donc établir un cordon sanitaire autour de ces activités afin de mieux prévenir une nouvelle crise systémique et surtout éviter que les dépôts des épargnants et la garantie de l’Etat ne viennent éponger les pertes subies sur les marchés. En France, quatre banques font partie des banques dites systémiques, elles sont quatorze en tout à l’échelle européenne.

Aux Etats-Unis, la loi Volcker préconise l’interdiction de spéculation pour compte propre et les investissements trop importants dans le capital investissement et les fonds spéculatifs.

En Grande-Bretagne, la loi Vickers préconise une sanctuarisation des activités de banques de détail sur le territoire tout en maintenant une relative dérégulation sur les activités de marché afin de maintenir un avantage comparatif. Enfin le rapport Liikanen remis à la Commission Européenne préconise la séparation totale des activités très risquées, et de la banque de détail via la création de structure ad hoc pour les isoler.

Par rapport à ce contexte mondial, quelles sont les orientations et mesures données par la loi française ?

Contexte et enjeux

Le critère d’utilité retenu comme principe de découpage

Envisagée d’abord comme une séparation nette entre les activités de dépôt et crédit des banques et leurs activités de marché, l’ambition énoncée lors du discours du Bourget a évolué vers une filialisation des activités jugées non utiles à l’économie réelle, autrement appelées activités spéculatives. Ce glissement sémantique permet de ne pas remettre en cause le modèle de banque universelle instaurée en 1984 par l’abrogation de la loi n°45-15 de décembre 1945, modèle qui a véritablement vu le jour au milieu des années 90 lors des rapprochements bancaires. Le modèle français, rappelons-le, est basé sur une banque mixte, entité juridique unique qui regroupe les deux types d’activités bancaires, activité de dépôt et de crédit et activité de marchés. Ce modèle dit de banque universelle survit à la loi présentée au Sénat le 20 mars.

Le critère d’utilité a donc été retenu comme principe de découpage ; l’utilité d’une activité est décrite comme toute activité menée par la banque, seule ou avec son client, dans l’intérêt de ce même client. Le reste des activités jugées comme non utiles devront être filialisées. Les premières estimations de cette séparation indiquent qu’environ 1% de l’activité bancaire devra être filialisée.

La banque conserve la tenue de marché car l’apport de liquidité pour ses clients est jugée utile à l’économie. Les spéculations sur des produits dérivés de matières premières agricoles sont quant à elles exclues ainsi que les opérations de Trading à Haute Fréquence qui ne servent pas un client (environ 10-20% des opérations sont concernées).

Le volet séparation de la loi comprend néanmoins trois mesures relativement contraignantes pour les banques :

  • Le plafonnement à l’acte et mensuel des commissions d’interventions. Le plafond à l’acte étant fixé à 5 euros et le plafond mensuel à 40 euros. A travers cette mesure l’Etat entend réaffirmer la défense des clients fragiles. Cette mesure représente un important manque à gagner pour les banques. Aujourd’hui un acte est facturé en moyenne 8,5 euros et il n’existe pas de plafond mensuel
  • L’information obligatoire sur les activités par pays. Les banques seront tenues de produire un rapport annuel de leurs activités par pays dans lesquels elles disposent de filiales ou dans lesquels elles exercent des activités. Ce rapport devra décrire la nature des activités, le nombre d’employés concernés ainsi que le PNB consolidé. Cette mesure ambitionne de donner plus de transparence sur les éventuelles activités réalisées dans les paradis fiscaux.
  • L’encadrement plus restrictif de l’octroi des prêts aux collectivités. L’indexation du taux d’intérêt des prêts structurés devra se conformer à des règles plus strictes afin de mieux protéger les collectivités de ces emprunts dits toxiques et les inciter à prendre des crédits « simples ».

Ces trois mesures auront certes un impact sur les activités bancaires mais il sera limité par rapport au postulat de départ d’une séparation totale entre activités de marché et activités de la banque de détail. Cette séparation se résume à une minuscule filialisation de la partie des activités bancaires jugées inutiles à l’économie.

Un volet séparation limité mais un volet régulation fort

Si la séparation ne donne lieu qu’à des ajustements à la marge, le volet régulation amène un renforcement du contrôle des pouvoirs publics sur les banques.

Ainsi l’Autorité de Contrôle Prudentiel évoluera vers l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. Au-delà d’un certain seuil les établissements bancaires français seront forcés de soumettre un plan préventif de rétablissement. En cas de saisie par le gouverneur de la Banque de France ou le Directeur Général du Trésorerie, l’ACPR pourra demander un changement organisationnel à la tête de la banque concernée en nommant elle-même un administrateur provisoire. Les pouvoirs de l’ACPR seront alors quasi illimités sur le capital de la banque.

L’objectif ici est de veiller à ce que le sauvetage d’une banque en difficulté ne se fasse pas au détriment des épargnants et du contribuable.

La régulation est sans doute le volet qui est le plus contraignant pour les établissements bancaires. Et même si il est difficilement imaginable de parvenir aux extrémités prévues par la loi, ces dispositions renforcent le pouvoir de négociation des pouvoirs publics vis-à-vis des banques.

Un cadre réglementaire français mais surtout mondial et évolutif

La loi, en discussion au Sénat depuis le 20 mars, viendra répondre à un constat effectué après la crise de 2008. Toutefois les impacts de cette loi seront limités pour les banques françaises.

En revanche les dispositions bâloises ainsi que les lois américaines comme Volcker ou Dodd-Frank vont venir encadrer beaucoup plus strictement les activités bancaires et restent des défis majeurs pour les banques dans les années à venir. La loi a également un caractère évolutif car elle prévoit que le ministre de l’économie peut à tout moment élargir le périmètre des activités à filialiser ; dans ce cas la séparation pourrait représenter plus que les 1% annoncés.

Les principaux impacts

Les exigences de cette législation ne sont pas définitives. Néanmoins elles donnent des orientations sur les principaux impacts pour le secteur bancaire et mettent en exergue la nécessité de :

  • Traiter les impacts probables des actions de filialisation notamment sur les systèmes de synthèse et les outils et processus concernés
  • Mettre en place un dispositif de contrôles visant à respecter le plafonnement mensuel et à l’acte sur les commissions d’intervention et être en capacité de le communiquer aux clients
  • Réviser le processus de publication des informations financières en y intégrant les activités réalisées à l’étranger
  • Adapter l’offre destinée aux collectivités locales en prenant en compte les nouvelles restrictions sur les solutions de financements